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disant : « La Westphalie n’est pas un royaume assez grand pour contenir deux reines, » et, faisant allusion à l’offre d’une pension que lui adressait en même temps Napoléon, elle ajouta : « J’aime mieux m’abriter sous les ailes d’un aigle, que sous le bec d’une oie. » Napoléon avait en effet promis à Jérôme de servir à Elisabeth Patterson une pension de 60 000 francs à la condition qu’elle revînt en Amérique. Elle accepta et retourna dans sa patrie pour ne la quitter qu’en 1815. Mais, à cette époque, bien qu’elle conservât pour le garder jusqu’à sa mort le nom de Bonaparte, elle avait rompu les liens légaux, du moins en Amérique, qui l’attachaient à Jérôme, par un divorce que ses biographes ne semblent avoir placé ni à sa date exacte, ni dans les circonstances qui l’ont réellement déterminé. L’un des derniers d’entre eux, M. Didier, lui assigne 1815 comme époque et, comme raison, le désir de Mme Bonaparte d’empêcher, étant donné la chute de Napoléon, son ancien mari de réclamer une part de sa fortune. Nous verrons que les motifs de sa décision ont été tout à fait différens.

Quand, après avoir jusqu’alors partagé son temps entre Baltimore et les maisons de campagne de son père en Maryland, Elisabeth Patterson vint s’installer à Washington, M. Sérurier avait aussitôt prévu que la rencontre entre le représentant de Napoléon et la prétendue belle-sœur de l’Empereur ne pourrait que donner lieu à de sérieux embarras dans une société aussi restreinte que celle de la capitale fédérale. Il y avait à peine dix ans que Washington était sorti de terre : créée par une loi, la ville voyait seulement un petit nombre de maisons s’élever les unes auprès de la demeure du Président, les autres autour du Capitole encore inachevé. Les troupeaux paissaient sur le tracé des rues ; les communications ne se faisaient guère qu’en voiture ou à cheval ; il fallait tout apporter du dehors, et la vie était extrêmement chère. Mais Mme Bonaparte était la première en date de ces Américaines, si nombreuses aujourd’hui, qui ne trouvent pas assez distinguée la compagnie de leurs compatriotes. Pénétrée pour son pays d’une aversion qu’elle ne prenait pas la peine de dissimuler, il lui fallait, à défaut de l’Europe, ce qui la lui rappelait le plus : des diplomates étrangers, des fonctionnaires, des hommes politiques. C’étaient les trois élémens qui composaient exclusivement la société de Washington. Sérurier avait poussé le scrupule jusqu’à demander des