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quoi qu’on résolût de faire, le concours absolu de Trochu était indispensable. Après avoir paru si peu empressé à recevoir son représentant, on chargea Chevreau d’aller l’amadouer et de le prier de venir.

Lorsque Chevreau lui apprit notre désastre et fit appel à son dévouement, le général ne se montra pas étonné d’une catastrophe qu’il avait prévue dès le 17 août. Chevreau le suppliant de se rendre auprès de l’Impératrice, il répondit sèchement qu’il descendait à peine de cheval, qu’il n’avait pas dîné, qu’il s’y rendrait plus tard. Jurien de la Gravière, survenu ensuite, n’obtint pas une réponse plus favorable : « J’ai besoin de réfléchir. » Il ne croyait pas, ajouta-t-il, qu’il pût honorablement se présenter à une femme livrée au plus violent et au plus légitime désespoir, pour lui parler d’une catastrophe qui la perdait sans retour.

L’appel à Trochu n’avait pas été fier : celui qu’on adressa à Thiers fut plus encore irréfléchi. Comment pouvait-on croire que cet homme avisé, qui, après tant d’années, allait tenir sa revanche des avanies de 1851 et des hostilités des dernières années, désarmerait à la prière d’une impératrice irrévocablement perdue ? C’est cependant ce qu’on laissa la Régente essayer dans la soirée du 3 septembre. Après avoir confié à Chevreau le soin d’adoucir Trochu, elle eut la surprenante idée de prier un de ses amis, Mérimée, resté en relations amicales avec Thiers, d’aller lui offrir le pouvoir. « Les dynasties ne vous occupent pas, dit Mérimée, vous ne regardez qu’à l’état des affaires. Eh bien ! l’Empereur est prisonnier, il ne reste qu’une femme et qu’un enfant : quelle occasion pour fonder le gouvernement représentatif ! — Après Sedan, répondit Thiers, il n’y a rien à faire, absolument rien. » Il refusa ses conseils et son concours. « L’Impératrice n’aurait rien à gagner à me consulter ; elle ferait une démarche peut-être pénible et sans résultat utile pour elle. Certes, mon respect ne lui manquerait pas, mais m’appeler serait pousser un cri de détresse sans aucun profit. »

Rouher, qui n’avait plus aucune illusion, ne voyait plus rien à tenter. Rentré au Luxembourg il appelle Ferdinand Barrot, le Grand Référendaire du Sénat, et lui dit : « Je sors du Conseil ; pour moi, la déchéance est une affaire réglée ; demain, nous aurons une révolution ; allez demander de la troupe de ligne au général Soumain. »