Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/153

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

notice dans ses Hommes Illustres, inculqua sa science à son fils, qui le suppléa dans sa vieillesse, mais sans l’égaler. Louvois lui préférait un autre déchiffreur, nommé Luillier, et les virtuoses en ce genre ne manquèrent pas, puisque les lettres chiffrées, interceptées à la poste, qui abondent dans les dossiers de jadis, y sont toutes traduites en clair.

Il circulait, dès le premier tiers du XVIIe siècle, des traités manuscrits révélant les « Règles assurées et infaillibles pour déchiffrer et lire ce qui sera écrit par figures, » et recommandant aussi « plusieurs façons d’écrire qui ne pourront être déchiffrées. » De toutes les lettres, dit l’auteur d’un de ces manuels, « les voyelles sont les plus usitées et, parmi les voyelles, E est la plus fréquente ; de sorte que, si l’on remarque un chiffre qui revient sans cesse, on peut être sûr que c’est un E. Lorsqu’un groupe composé de trois chiffres commence par E, ce doit être Eut, eau, eux, mais plus probablement Est ; lorsqu’il finit par E, ce peut être Vie, lie, tue, vue ; mais c’est ordinairement que. Deux figures semblables à la fin d’un mot sont infailliblement deux E, comme dans armée. Un mot de trois chiffres, le premier et le troisième étant semblables, sera ordinairement non ; un chiffre seul faisant un mot c’est certainement a ou y ou o…, » etc.

Quoique l’auteur donnât le « moyen de reconnaître les lettres inutiles, inexistantes et de remplissage, » ses procédés, fondés sur la place et la fréquence d’un même caractère, ne servaient de rien pour les chiffres plus compliqués, où la même figure signifie, suivant sa place, trois ou quatre lettres différentes : ainsi le P est employé trois fois dans deux mots pour signifier tantôt O, tantôt M et tantôt I. Les diverses manières de chiffrer par lettres et points, par le carré, le triangle ou l’octogone, par châssis et grilles avec signes d’intelligence que l’on change chaque fois suivant l’ordre dans lequel on emploie la grille, tous ces systèmes, si parfaits que les modernes n’ont pas eu à les perfectionner, n’offraient qu’une sécurité illusoire.

Le « service du secret, » pour enlever la cire des cachets sans qu’il y parût trop, puis pour rétablir plus ou moins proprement la fermeture, se servait d’un amalgame à base de vif-argent, nommé gama, sur les mérites duquel les contemporains diffèrent assez d’opinion : « On ne saurait comprendre, dit Saint-Simon, la promptitude et la dextérité de cette