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la seule attitude fière et digne, elle eût imprimé à la fin un caractère imposant et créé une belle légende ineffaçable d’héroïsme. La postérité admire celui qui, dans le naufrage, reste ferme à son timon, luttant jusqu’au bout ; ille in naufragio laudandus quem obruit mare davum tenentem et obnoxium. Mais les esprits de ceux qui dirigeaient notre nef en péril n’étaient point disposés à ces résolutions hardies. L’Impératrice n’était plus capable que d’effacement. « Avant tout, dit-elle, donnez l’ordre à la troupe de ne pas tirer. Il ne coule déjà que trop de sang français sur les champs de bataille ; qu’on n’en verse pas une seule goutte dans Paris pour ma défense personnelle. » Elle ajouta, ce qu’elle ne négligeait en aucune occasion de répéter : « Ne vous occupez pas de la dynastie, sauvez la France. Personnellement je ferai ce qu’on voudra. » Elle s’opposa avec non moins d’insistance à ce que le gouvernement fût emmené hors de Paris. « Il faut tomber, disait-elle, sans encombrer la résistance. Il ne faut pas, si certains hommes avaient assez peu de patriotisme pour profiter des événemens pour nous renverser, qu’on puisse dire un jour que, dans un intérêt dynastique, pendant que les Prussiens pénétraient sur notre territoire, nous avons fomenté en province la guerre civile. » Elle ne reconnut que la nécessité d’organiser un gouvernement hors de Paris. « La Chambre ira, dit-elle, mais moi je reste à Paris. »

Les conseillers de la Régente trouvèrent ce langage sublime et s’y associèrent. Il fut arrêté qu’il « n’y avait plus ni à défendre la dynastie, ni à agir en son nom, et que le seul devoir était de donner au Comité de défense le moyen de sauver le pays. » — « L’énergie ne nous manquait pas, a dit le ministre auquel j’emprunte ces expressions, Jérôme David ; nous avions des troupes fidèles, nous avions la garde de Paris, nous avions la gendarmerie, nous avions le corps des sergens de ville. Si nous avions voulu risquer une guerre civile pour conserver le pouvoir, je ne sais pas ce qui serait arrivé ; on peut toujours faire la guerre civile ! Eh bien ! nous n’avons pas voulu la faire. Nous avons préféré tomber et ne pas donner au monde le spectacle honteux d’une guerre civile au moment où il fallait lutter contre l’étranger. Je crois que nous avons bien fait. »

Dès qu’on ne voulait pas s’exposer à répandre le sang à Paris, ni à fomenter la guerre civile en province, comme il était