le changement de ses pensées, et de se transfigurer par la puissance de réaction que son âme possède ; il peut devenir meilleur ou plus mauvais.
« J’ai peut-être été la victime d’une transformation de ce genre ; mais elle a pour effet de permettre à une femme de reconquérir sa sainte innocence par un amour vrai. Elle n’a pas d’antécédens pour celui dont elle est sincèrement aimée. C’est à ce mystère que les femmes doivent de perdre leur nom ancien dans tous les pays du monde. Ainsi, un fait philosophique s’est changé pour moi en une bienfaisante doctrine, qui me permet de respecter les femmes très consciencieusement.
« Pour moi, la vie d’une femme, et pour elle aussi peut-être, commence au premier regard par lequel ils se créent l’un pour l’autre. Je ne jetai donc jamais un seul coup d’œil sur sa vie passée, pas même pour y puiser une pensée d’espoir, et je l’acceptai comme un ange de pureté. Je l’aimai de tous les sentimens humains. Ma passion se trouva forte de mes désespoirs secrets, de mes illusions déçues, de tous mes songes d’amitié, d’amour, évanouis, qui se réveillèrent pour elle !…
« Ah, Monsieur, s’écria le médecin, je vous raconte une bien fatale histoire, bien épouvantable, et bien ridicule !… »
Il resta pendant un moment silencieux, agité.
— Non seulement, reprit-il, cette femme m’accueillit, mais encore elle déploya pour moi, sciemment, les ressources les plus captivantes de sa redoutable coquetterie. Elle voulut me plaire, et prit d’incroyables soins pour fortifier, pour accroître mon ivresse. Elle usa de tout son pouvoir pour faire déclarer un amour timide et silencieux. Elle fut heureuse de m’entendre lui dire que je l’aimais, après avoir longtemps joui de mon silence qui lui avait déjà tout dit : joyeuse de mes paroles, elle ne m’a jamais fait taire, et ses regards insatiables m’arrachaient tous mes secrets. Ayant la crainte de ressentir près d’elle des félicités que je n’inspirasse pas et de rêver à moi seul pour nous deux, désespérant de pouvoir jamais l’initier aux délices de mes espérances, jugez de mon éloquence dans ces momens délicieux, où tout homme est éloquent[1].
- ↑ Sur un premier brouillon, Balzac a rédigé différemment ce paragraphe. Voici cette variante :
« Elle eut peut-être un tort, mais je ne le lui reprochai jamais ; je n’ai même pas le courage de le lui reprocher aujourd’hui, car il est effacé par mille souvenirs heureux que je lui dois. Ce tort, ce crime, qui plaît tant à toutes les femmes, fut d’avoir déployé pour moi les ressources les plus captivantes de sa redoutable coquetterie, et d’avoir pris plaisir à faire croître mon ivresse. Elle a joué avec un sentiment vrai, avec une vie entière, sans remords aucun. Elle m’a entendu lui dire que je l’aimais, ne m’a jamais fait taire, et ses regards ont toujours excité ma parole. »