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Type admirable de noblesse et d’élégance, sa noblesse n’avait rien de cherché ni de contraint, son élégance était toute instinctive. Le hasard avait été prodigue envers elle. Je ne vous dirai rien de sa naissance ni de sa fortune. En amour, ce sont des niaiseries qui, souvent, lui donnent du relief, mais qui, plus souvent encore, le tuent.

« Ce qu’elle avait de plus précieux était une belle âme, qui ne l’a pas empêchée de commettre un crime, un caractère délicieux en apparence. Elle pouvait être mélancolique, gaie, dans la même heure, sans jouer ni la mélancolie ni la gaîté. Elle paraissait vraie en tout, du moins je l’ai cru, et ce fut le principe de mes malheurs. Elle savait être imposante, affable ou impertinente, à son gré. Elle semblait être bonne et elle l’était ; mais elle s’est préférée à moi, sans savoir si je ne me serais pas immolé pour elle. Elle était sans défiance et rusée, tendre à faire venir des larmes aux yeux les plus secs, et dure à vous briser le cœur le plus ferme.

« Mais, pour peindre ce caractère, il faudrait accumuler tous les contrastes. Elle était femme, et tout ce qu’elle voulait être. Un homme au désespoir s’était, dit-on, tué pour elle. Après l’avoir vue, ce désespoir paraissait naturel.

« Eh bien, Monsieur, cette femme m’accueillit avec plaisir, et dans un court espace de temps, après quatre ou cinq soirées passées près d’elle, je devins la proie d’une passion que je puis, en ce moment, dire éternelle, en mesurant la valeur de ce mot à la durée de notre vie.

« Elle était alors dans une de ces situations sociales qui, selon la complaisante jurisprudence de nos mœurs, doit permettre à une femme de se laisser aimer sans trop de scandale. Il est reçu, dans le monde, qu’une première faute excuse, autorise, justifie une seconde. Je n’ai certes point espéré devoir son amour aux maximes de la corruption ; mais j’avoue que j’étais enchanté de la trouver déjà séparée de la société, de rencontrer en elle un être tout à part.

« Je n’ai pas à me reprocher de l’avoir flétrie par une seule pensée mauvaise, et ce fut toujours, pour moi, la plus délicieuse et la plus pure de toutes les femmes. J’ai une opinion consolante pour nous autres, faibles créatures. L’homme a le pouvoir de se faire une vie nouvelle à chaque nouveau progrès de sa vie ; il a le don de ne plus se ressembler à lui-même par