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pas la France dans un temps donné ! Cette sage fondation en eût conseillé de semblables en faveur de toutes les parties souffrantes des arts, qui veulent un génie pauvre, créateur, de longs travaux, des récompenses, et les artistes n’eussent pas été menacés de mort, comme ils le sont en ce moment par le froid esprit des nouvelles institutions politiques.

Si cette page peut inspirer de généreux desseins à ceux qui sont sans héritiers, elle aura produit plus de bien que beaucoup de volumes.

H***


CONFESSION DU MÉDECIN DE CAMPAGNE

— « Mon histoire, Monsieur, est d’un mince intérêt pour les autres. Ce qui fut jadis, ce qui est encore un grand événement dans ma vie doit paraître peu de chose, et je dois même vous avouer que si cette aventure n’était pas la mienne, elle me semblerait la plus vulgaire du monde. Aussi, pour prendre part à mes peines, faut-il admettre que tout est relatif en fait de sentiment, grandir des riens, et amoindrir bien des grandeurs.

« Je hais parler de moi. La vie que j’ai embrassée a été déterminée par un mot d’adieu : aux cœurs blessés, l’ombre et le silence. Ce mot est devenu ma devise. Depuis douze ans, je me suis tu fidèlement. Si je romps ce long silence, j’aurai du moins la bonne foi d’avouer qu’il commençait à me peser. Il y a encore de l’homme en moi. Mes pauvres malades seuls savent souffrir en silence et se taire en mourant. Je n’ai plus que peu de jours à vivre, je le sens ; eh bien, sur le bord de la fosse, j’ai je ne sais quel plaisir à confier au cœur d’un vieux soldat la pensée qui m’a dévoré. Les anciens chevaliers, faute de prêtre, se confessaient à la croix de leur épée ; or la confession de mon cœur n’est pas du domaine de l’église. Il n’y a peut-être qu’un enfant ou un vieux soldat qui puisse m’écouter, comprendre mes douleurs, et y croire. »

Un sourire doucement ironique passa sur ses lèvres et nuança d’une fausse expression de joie la mélancolie empreinte dans ses traits.

— « Benassis est le nom primitif de ma famille, auquel s’en