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Le caractère sentimental de l’époque révolutionnaire, nous le trouvons dans l’art même de David uni aux caractères d’énergie. David, par son éducation première, par les influences qu’il subit jusqu’à sa pleine maturité, appartient à l’Ancien Régime : il avait quarante et un ans en 1789. Tout un côté de son art est féminin, empreint de grâce et de tendresse, et son œuvre entière, depuis les débuts jusqu’à la fin de sa carrière, nous le dira : c’est le groupe des femmes dans le tableau des Horaces de 1784, ce sont les Amours d’Hélène et de Pâris de 1788, le Bara de 1789, le tableau des Sabines, de 1797, qui semble une idylle plus qu’une scène de combat, c’est le portrait de Mme Récamier de 1800, le groupe de l’Impératrice et de ses dames d’honneur dans le tableau du Sacre de 1807, et c’est le Mars désarmé par Vénus, sa dernière œuvre faite en 1824.

Que d’artistes suivront David dans cette voie fleurie : Gérard, dans l’Héro et Léandre, véritable bas-relief grec, dont le charme est digne d’un Théocrite, Girodet, le peintre de l’Endymion, et surtout Prud’hon, le plus grand artiste de cette époque, le maître des grâces, qui, par la beauté de ses nus, est le seul peintre qui puisse être comparé au Corrège.

L’art de la Révolution devait exceller dans le portrait. Ce n’est pas un hasard si David a été un des plus grands portraitistes du monde. Les mêmes causes qui ont fait l’art de Rembrandt ont fait le sien. Sous Louis XV, un grand seigneur ne tire pas vanité de ses qualités personnelles, qualités intellectuelles ou morales que tout homme peut acquérir, mais de son rang, de sa noblesse et de sa fortune. Il semble que, dans un portrait du XVIIIe siècle, les accessoires de toilette et de mobilier soient l’essentiel. Dans les portraits de la Révolution, c’est l’âme qui va passer au premier rang. Tous les hommes de la Révolution, tous ces hommes qui ont commencé par n’être rien et qui ne comptent que par leur volonté et leur génie, quels modèles n’offriront-ils pas aux artistes ! et comme les peintres, pour leur plaire, vont s’appliquer à les représenter sans vain apparat extérieur, dans toute l’ardeur de leur pensée ! David oublie l’art de Largillière, de Nattier, des Van Loo, pour ne voir que la vie. : Il a peint le siècle tout entier, dans ses héros et dans ses âmes les plus humbles : à côté des grands de la terre, à côté de l’Empereur et du Pape, il a fait vivre les chefs politiques, les savans, les guerriers, les membres de la haute bourgeoisie et le