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travail moins coûteux qu’il fut possible de faire. C’est ainsi qu’au Musée du Louvre, le buste de Suvée par Roland, beau comme un portrait de David, suffit à dire toute la grandeur de cette école dans l’art du portrait. Au Musée des Arts décoratifs, deux petites têtes de bronze rappellent le style de Phidias et plus encore celui de ses prédécesseurs. Naturellement, sans efforts, les maîtres de la Révolution française retrouvent la force des sculpteurs d’Egine et d’Olympie.

Les sculptures, rares sous la Révolution, sont beaucoup plus nombreuses sous l’Empire. Que l’on songe seulement à l’effort qu’il fallut pour cette formidable entreprise des bas-reliefs de la Colonne Vendôme ! Cependant, cet art trop négligé depuis longtemps, n’attire pas l’attention des historiens ; on ne publie pas les sculptures de cette époque, et je dois avouer que, de toutes les écoles de sculpture, c’est celle qui m’est le moins connue.

Pourquoi aucun de ces sculpteurs ne se fit-il une place exceptionnelle, pourquoi aucun d’eux ne sut-il gagner les faveurs de l’Empereur, c’est ce qu’il est difficile de comprendre. Peut-être leur art était-il trop sévère, peut-être aucun d’eux n’avait-il su retrouver un peu de ce charme et de cette sensualité que demandait l’entourage de l’Empereur. Peut-être surtout est-ce parce qu’un grand artiste, Canova, s’était révélé au-delà des monts et que Napoléon voulut l’attacher à son char de triomphe. Napoléon appelle à lui le plus grand artiste de l’Italie, comme François Ier avait appelé Léonard, et Louis XIV le Bernin.

Mais si Canova était incontestablement le plus grand sculpteur de l’Europe, c’était bien peu l’homme qu’il fallait pour dire la grandeur de l’Empire. Il n’aimait pas l’Empereur, il ne pouvait aimer celui qui avait détruit sa République de Venise, et son cœur ne tressaillit jamais au bruit de nos armes victorieuses. Lui, Vénitien, lorsqu’il fait le buste de celui qui devint son maître, au lieu de voir cette intelligence qui fut une des plus grandes qu’ait jamais connues l’humanité, il ne voit et il n’exprime que la ruse d’un ambitieux, et lorsqu’il tente d’idéaliser cette esquisse, dans ses statues officielles, il n’aboutit qu’à une transformation banale du masque d’un empereur romain. Canova fut, non le sculpteur de Napoléon, mais celui de Joséphine et de Pauline Borghèse. Il aurait fallu l’âme virile d’un Français,