Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/11

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

temps de se reconnaître et de respirer, Haentjens demande le Comité secret. « Pas de Comité secret, répondent furibondement les députés de la Gauche, qui, nullement atterrés, sont seuls résolus, parce qu’ils savent ce qu’ils veulent et où ils vont. Pas de Comité secret : il est temps que la nation et Paris sachent où ils en sont ! Pas de Comité secret ! on ne délibère pas à l’insu du pays dans de pareilles conjonctures ! »

Le débat est clos par un mot de Palikao : « Je ne vois pas pourquoi nous accepterions dans ce moment le Comité secret. » C’est la capitulation qui continue. Aussi la Gauche et le Centre gauche éclatent en vives marques d’approbation. Sur quoi, Jules Favre monte à la tribune. D’une voix, d’abord grave, puis âpre, mordante, aiguë comme la pointe d’un poignard, il frappe sans miséricorde l’ennemi à bas, dont il guettait en vain depuis des années la chute inespérée. Après le refrain patriotique obligé, il célèbre Bazaine et Mac Mahon : l’un a accompli des prodiges de valeur ; l’autre n’a pas été moins brave ; s’il a échoué, c’est que la liberté du commandement lui a manqué. « Non ! non ! » riposte avec force Palikao, qui savait trop combien l’Empereur était étranger à sa stratégie.

Jules Favre ne se déconcerte pas : « Il n’est douteux pour personne qu’on lui a demandé des forces pour protéger l’Empereur (Exclamations et réclamations) et le Conseil des ministres a cru devoir prendre ces forces sur celles qui étaient destinées à défendre Paris. Voilà ce qui existait, et il ne faut pas qu’un pareil état de choses continue. (Rumeurs au centre et à droite.) Où est l’Empereur ? Communique-t-il avec ses ministres ? leur donne-t-il des ordres ? — Non, répond Palikao avec une netteté d’accent qui produit une émotion profonde. — S’il en est ainsi, continue Jules Favre en déployant toute la puissance de sa voix, de fait, le gouvernement a cessé d’exister. » Schneider proteste. La Droite et le Centre s’exclament ; Jules Favre maintient et répète son assertion, dont la vérité n’est pas contestable.

Après avoir constaté l’inexistence du gouvernement, l’orateur, redoublant d’audace et ne s’enveloppant plus d’aucun voile oratoire, affirme que le pays ne doit plus compter que sur lui-même et non plus sur ceux qui l’ont perdu : « Ce qu’il faut en ce moment, ce qui est sage, ce qui est indispensable, c’est que tous les partis s’effacent devant un nom représentant la