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Cette période ne prit (in à son tour que lorsque les idées chrétiennes qu’elle représentait s’affaiblirent et disparurent. Le néo-classicisme remplaçant le Baroque, c’est le triomphe de l’esprit anti-chrétien.

Un exemple très significatif de cette opposition entre l’esprit antique et l’esprit chrétien nous est donné par les impressions de Goethe, l’homme qui, plus que tout autre, semble incarner le néo-classicisme à son apogée. Goethe va jusqu’à renier l’art national allemand parce que cet art est chrétien. Pour lui, tout ce qui est chrétien est barbare. De toute l’œuvre de Raphaël, il ne retient que les fresques de la Farnésine ; et, à Assise, la cité sainte du christianisme, il semble ignorer saint François pour ne s’intéresser qu’aux ruines d’un temple antique[1].

Nous allons montrer que le style néo-classique s’est formé en France non pas seulement, comme on le dit généralement, à la fin du XVIIIe siècle, mais longtemps auparavant, et que, loin d’être le trait qui distingue le style de la Révolution du style Louis XV, il est au contraire celui qui les unit ; en d’autres termes, que le néo-classicisme fut l’œuvre de la Monarchie autant que celle de la Révolution. Nous montrerons ensuite que le néo-classicisme fut une création exclusivement française et que, au moment où il s’est formé, il était en opposition avec les tendances artistiques de la plupart des grands pays de l’Europe.

Si un caractère aussi important que le classicisme s’est transmis de l’art de la Monarchie à celui la Révolution c’est qu’il n’y a pas entre ces deux périodes une rupture absolue, mais qu’elles sont unies par un caractère commun, caractère qui est l’affaiblissement du christianisme. La France a créé le style néo-classique parce qu’elle était le pays où les idées de la Renaissance avaient le plus profondément pénétré et régné avec plus de continuité.

La Renaissance apparaît en France dès le début du XVIe siècle, et elle y fait des progrès extrêmement rapides, tellement elle convenait bien par son esprit à la Cour des Valois. Au sensualisme de François Ier il fallait le sensualisme de Léonard de Vinci, du Primatice et de Benvenuto Cellini. Et cet art persista en France beaucoup plus longtemps qu’en Italie : la réaction religieuse qui se manifesta en Italie dès le milieu du

  1. Cf. L. Hautecœur. Rome et la Renaissance de l’Antiquité à la fin du XVIIIe siècle, p. 229.