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IV

Paul Heyse, nature si peu mystique, rend à l’amour un culte tout imprégné de mysticisme. L’amour est sur terre la chose divine. L’amour est ici-bas un reflet de ce Dieu dont Paul Heyse se désintéresse trop. Cette ferveur à poétiser la passion lui a valu de chauds admirateurs parmi les âmes sentimentales, mais lui a fait aussi des ennemis, et considérables. Bismarck, par exemple, n’aimait point l’auteur qui nous occupe : il lui reprochait « de ne pas écrire pour les hommes. »

Je lui sais, quant à moi, un gré immense de n’avoir pas écrit pour les hommes à la mesure du Chancelier de fer. Cette tendresse raffinée, cette exaltation chevaleresque, cette dévotion superstitieuse à l’Éternel Féminin qui remplissent les histoires de Paul Heyse ne pouvaient plaire à Bismarck. Elles ont plu à d’autres. Que dis-je ? Elles ont charmé deux générations de lecteurs moins difficiles. Quoi qu’en pensât Bismarck, le prestige d’un conteur dépendra toujours de la façon plus ou moins heureuse dont il saura dire des amans les plaisirs et les peines.

Et Paul Heyse y excelle. L’amour n’est pas chez lui le « déduit » de nos vieux conteurs, la galanterie ou la volupté. L’amour tel qu’il le comprend est une passion jalouse, qui remplit toute l’âme, élève l’individu au-dessus de lui-même, inspire les plus grands dévouemens ou les plus grands crimes, mais plus souvent les grands dévouemens. Plus l’être humain appartient à cette élite où Paul Heyse va chercher ses héros, plus il est capable d’amour, de ce grand amour pur. L’amour est nécessaire aux belles âmes, au même titre que la nourriture et le sommeil. Il est de parfaits amans plus précoces les uns que les autres, mais ce ne sont pas les plus précoces que Paul Heyse aime le moins. Pour avoir commencé plus tôt de souffrir, ils sont dignes d’admiration et de respect : « Qu’on dise encore (Lottka, 1869) que la jeunesse est le temps du bonheur sans nuage, alors qu’en des tourmens forgés à plaisir, elle gaspille les meilleurs dons du ciel et s’adonne à des sentimens trompeurs, seulement pour pouvoir être malheureuse ! »

Au demeurant, qu’on n’aille point prendre à la lettre ce cri du cœur ! Les héros de Paul Heyse n’échangeraient point contre