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maintenant sur la route de l’horreur, où ils se sont engagés ensemble, son mari l’a dépassée.

La peur paralyse. A mesure que l’orage s’accumule contre lui, Macbeth s’immobilise dans une inertie qui équivaut à l’abandon de soi-même et de sa propre cause. Il assiste impuissant et insouciant aux progrès de ses adversaires. On n’avait jamais vu perdre avec autant d’indifférence un royaume si chèrement acheté. Une à une, ses places fortes ont été emportées et il ne lui reste que ce château de Dunsinane. Il s’aveugle volontairement et se leurre lui-même d’illusions, opposant aux derniers de ses fidèles, qui réclament de lui des ordres et des troupes, les paroles ambiguës des sorcières qui le dispensent de lutter et de se défendre. En est-il dupe lui-même ou ne cède-t-il pas plutôt à ce fatalisme des joueurs qui sentent la partie perdue et abattent leur jeu ?

De même, à propos de lady Macbeth, il faut préciser ce qu’on entend par le remords. Si le remords consiste à se repentir d’un acte, à s’accuser soi-même de l’avoir fait, à le regretter, à en rougir, à chercher tous les moyens de l’expier, il est certain qu’il n’y a chez lady Macbeth pas ombre du remords ainsi défini. Pas un mot d’elle ne nous permet de supposer qu’elle souhaiterait n’avoir pas eu de part au meurtre de Duncan et qu’elle ne le referait pas si c’était à refaire. C’est pourquoi, lorsqu’on voit lady Macbeth reparaître malade au dernier acte, on s’est souvent demandé s’il n’y avait pas entre les deux parties du rôle une solution de continuité et même une contradiction. Celle que nous voyons, en état de somnambulisme, revivre, avec une extraordinaire intensité d’angoisse physique, toute la scène du meurtre, est-ce la même qui naguère a conçu ce meurtre sans une hésitation, l’a combiné avec un imperturbable sang-froid, en a recueilli le profit en toute tranquillité d’âme ? La réponse ne saurait faire de doute. Oui certes, c’est bien elle, et, pour apercevoir ici une contradiction, il faut avoir commencé par fausser l’idée du rôle, comme j’ai indiqué plus haut qu’on le fait volontiers chez nous. Si lady Macbeth est ce bourreau femelle, cette bête fauve qu’on imagine, ou si elle est tout simplement une de ces reines cruelles, comme l’histoire en a connu, il est clair que, même en songe, elle ne doit pas voir ses victimes sortir de la tombe et lui reprocher ses cruautés. Mais notez qu’aucun crime n’avait précédé son grand crime et qu’aucun ne l’a suivi. Nous venons de voir que, depuis le meurtre de Duncan, elle n’a plus aucune part dans les actes de son mari et n’intervient que pour calmer ses terreurs et secourir ses défaillances. Elle a été la