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soient, peuvent, d’un instant à l’autre, s’abandonner à la plus violente passion. L’histoire des derniers événemens en est une preuve nouvelle. Aucun autre pays ne perd comparativement par les luttes civiles autant de citoyens. Pour le moindre motif, la main saisit le compagnon inséparable, le pistolet. Griefs personnels ou discussions politiques du peuple se tranchent par le duel ou l’émeute. Le sang doit couler pour calmer les querelles.

Malgré tout, un séjour dans la capitale offre peu d’agrément aux touristes ordinaires, qui n’y passent généralement que quelques jours. Ni la vie politique ni la vie sociale n’exercent d’attrait : l’une est détruite, l’autre superficielle. Cependant, pour qui ne craint pas la peine d’en analyser les diverses manifestations, le désir d’une étude plus approfondie se fait sentir.

La transformation moderne de la cité n’est pas des plus heureuses. Dès le début, on a trop démoli pour reconstruire. Les Aztèques s’étaient eux aussi montrés impitoyables pour les importans souvenirs de leurs prédécesseurs les Toltecs ; et c’est avec le même aveuglement que l’on détruit maintenant les monumens historiques pour les remplacer par des bâtisses modernes. Les mœurs et les institutions suivent la même marche. Dans toute l’Amérique Centrale, l’influence des Etats-Unis gagne de plus en plus du terrain. Rien que dans la capitale, on compte plusieurs milliers d’Américains du Nord. Dans maints quartiers, on n’entend parler qu’anglais. Toutes les entreprises commerciales sont à peu près entre leurs mains. Avec l’argent, on acquiert forcément la puissance.

Les quartiers anciens et leurs ruines évocatrices s’emparent de notre esprit avec tout le prestige du passé. Les nouvelles rues commerçantes de la « ville américaine, » en elles-mêmes moins attirantes, sont pourtant des plus instructives. L’élément pittoresque et artistique y fait totalement défaut, remplacé qu’il est par l’esprit de trafic et l’activité mercantile. Antithèse frappante du passé et du présent, du rêve et de la réalité.

Forcément, l’invasion du Nord fait disparaître peu à peu la couleur locale. Toute cette capitale jadis si étrange est destinée à perdre rapidement tout son charme. Sort fatal de toute chose ici-bas ! Le passé doit prendre fin, et, pour l’antique Mexico, cette fin, hélas ! est arrivée.


VAY DE VAYA.