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distance de Cuernevacca, la locomotive et plusieurs wagons furent complètement démolis par l’explosion d’une bombe lancée par les insurgés.

Mais n’est-ce pas un trait caractéristique de la nature humaine que, plus elle est près du danger, moins elle semble s’en rendre compte ?

Durant mon séjour au Mexique, cet état d’esprit m’a vivement frappé. Au milieu du trouble et de l’émeute, la routine quotidienne de l’existence suit inaltérablement son cours. On déplore la mort de quelques victimes, on s’apitoie sur les malheurs publics, et puis l’intérêt personnel reprend tous ses droits. Ombres et lumières, larmes et sourires se succèdent sans transition. Il semble que, sous ces ardentes latitudes, les passions sont encore plus violentes. Aux rayons de ce soleil magique la vie est plus intense et plus fiévreuse. Cet astre, bénédiction de ce sol, idole de ce peuple, par son éclat et sa chaleur tropicale éblouit à la fois l’œil et l’esprit.

C’est au foyer même de l’agitation, dans l’historique palais de Chapultepec, que je passai le premier jour de cette triste année. Véritable Eden, si jamais il en fut sur terre ! A la fois coin de forêt vierge et jardin fleuri, des plates-bandes multicolores s’étalent au pied des cèdres au sombre feuillage, des cascades éblouissantes jaillissent au milieu de rochers moussus dont le sommet est couronné par l’ancien palais des rois Aztèques. Depuis l’époque de Montézuma, cette royale demeure a subi bien des changemens, et il n’en reste guère que les soubassemens. Mais, quoique souvent restauré, ce palais présente encore un ensemble grandiose.

Que dire de l’intérieur meublé pour l’empereur Maximilien ? Il offre toute la banalité du style et du goût du second Empire. C’est dans une grande salle mal décorée que le Président de la République recevait les hommes importans du pays et le Corps diplomatique. Réception d’ailleurs fort simple, où deux domestiques habillés de noir offraient aux invités des verres d’eau pour tout rafraîchissement. Au reste, le monde alors au pouvoir, ami du Président Madeiro[1], est très modeste. La classe soi-disant dirigeante, les grands capitalistes, les propriétaires fonciers, ces familles connues par leurs vastes richesses dans le monde entier,

  1. En quelques mois, ce chef d’État et beaucoup de personnages présens à cette réception ont été fusillés dans les circonstances dramatiques que l’on sait.