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mêmes services que les douanes ont rendus à l’Empire. Comme le fit, en 1860, le prince Kong, Yuan-Chekai ne tardera sans doute pas à se convertir à cette idée. Mais le contrôle ne pourrait être organisé que par une collaboration étroite du gouvernement et des étrangers et en réservant à l’élément chinois la part qui lui avait été jadis réservée dans l’organisation du service des douanes. Ce sont les douanes qui, à plusieurs reprises, en 1895, en 1900, en 1912, ont sauvé la Chine. L’organisation du service des gabelles et de l’impôt foncier d’après les méthodes et sous le contrôle des grandes Puissances, donnera aux Chinois l’éducation administrative, financière et gouvernementale dont ils ont besoin. Mais le remède demande à être manié avec précaution. Il est nécessaire que les gouvernemens européens exercent aussi une sorte de contrôle sur les affaires qu’ils patronnent et prennent garde de ne pas blesser le sentiment national qui s’est éveillé dans l’Empire chinois. La Chine n’est pas un corps inerte ; la révolution vaincue a laissé des traces profondes dans les esprits et dans les cœurs ; les écoles, les livres enseignent la liberté et le nationalisme même sous le régime de la dictature. Le gouvernement japonais a déjà quelque peu modifié sa ligne de conduite sous la pression de l’opinion publique favorable aux républicains chinois ; il semble incliner vers une politique peut-être moins solidaire des Européens, plus asiatique, plus préoccupée de l’avenir de la Chine. C’est là un symptôme qu’il ne faut pas négliger. Les étrangers, à la surface de la masse énorme de la Chine, restent toujours dans une situation précaire, et s’ils cherchaient à dominer le pays, à s’immiscer de trop près dans sa vie intérieure et dans son gouvernement, un mouvement xénophobe pourrait les balayer en quelques jours. La révolution, suivie de la dictature de Yuan-Chekai, n’est pas un stade définitif de l’histoire de la Chine ; ce ne peut être qu’une étape de la longue transformation qui, d’un agrégat d’innombrables cellules juxtaposées, fera un Etat outillé, organisé et gouverné selon les méthodes de la civilisation moderne. Les destinées de la Chine réservent de dangereuses surprises aux Puissances étrangères, si elles oublient que les affaires ne sont pas toute la politique et que les peuples ont parfois de terribles réveils.


RENE PINON.