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consortium qui lui mesuraient les versemens et exigeaient des justifications de l’emploi des fonds, s’était arrangé, dès le 10 avril, pour conclure un emprunt de 40 millions, à 6 pour 100, avec un groupe austro-allemand que soutenait, dit-on, la maison Krupp ; en échange, des commandes d’armes devaient être faites ; c’est encore les revenus de la gabelle qui figuraient la garantie des prêteurs. Ces incidens n’étaient pas sans provoquer quelque inquiétude dans les milieux financiers ; on hésitait à lancer l’emprunt dans le public. Après entente entre les gouvernemens, les ministres des Affaires étrangères des différens pays intéressés écrivirent aux banques des lettres conçues dans un sens identique constatant que les chancelleries considèrent que « ce contrat constitue un engagement liant le gouvernement chinois et ses successeurs[1]. » L’emprunt lancé dans le public réussit.

Dès lors, les événemens se précipitent. Yuan est assuré de l’appui de toutes les Puissances, liées par les avances et les prêts que leurs nationaux ont consentis ; elles ne lui demandent que d’établir solidement son pouvoir, garantie d’ordre et de sécurité, sans trop s’inquiéter des moyens dont il croira pouvoir se servir. En Chine même, los adversaires de Yuan semblent renoncer à la lutte ou l’ajourner, tant la question financière prime toutes les autres. Sun-Yat-Sen cherche à empêcher la guerre civile dont il prévoit la sanglante échéance. Dans les provinces, des troubles éclatent et Yuan-Chekai en profite pour prendre l’offensive ; les exécutions commencent ; à Ou-Tchang, les Kouomintang sont poursuivis et massacrés, le consul de France sauve ceux qui se réfugient sur le territoire de la concession française. La terreur règne à Pékin, les suspects sont exécutés ou s’enfuient, mais le Parlement reste ferme et multiplie les protestations ; il rejette le traité sino-russe relatif à la Mongolie, il rejette le contrat d’emprunt ; on ne le regarde plus que comme un Parlement factieux dont le maintien n’est encore nécessaire que pour procéder à une élection présidentielle régulière. Tout le Sud est en armes ; les délégués des assemblées provinciales réunis à Changhai prononcent la déchéance du dictateur, traître, violateur de la Constitution. Au commencement de juin 1913, la guerre civile commence ; les troupes de Yuan,

  1. Ce sont les termes prudens employés par M. Pichon dans la lettre qu’il a écrite le 7 mai 1913 au directeur de la Banque d’Indo-Chine. Voyez le texte dans le livre de M. Parjenel, p. 346.