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provisoire d’une pareille trahison et ameuter contre lui l’Assemblée el l’opinion publique.

La manœuvre du vieil homme d’Etat, entre tant d’écueils, est merveilleuse de souplesse et d’ingéniosité. Aux étrangers, il se donne comme seul capable de conjurer le péril d’anarchie et de dislocation ; ils sont plus intéressés que les Chinois eux-mêmes au crédit de la Chine, car ils sont ses seuls créanciers ; ils ont donc tout intérêt à le soutenir ; mais qu’ils se gardent de l’étrangler, en lui imposant des conditions inacceptables ! L’Assemblée nationale provisoire repousse les conditions du consortium, il faut donc lui donner, à lui Yuan, les moyens de tenir en bride l’Assemblée, de payer les soldats qui menacent de se mutiner. Ils se mutinent en effet, le 28 février 1912, à Pékin, au grand effroi des étrangers ; entre Nankin et Pékin, un général tartare tient la campagne, vit sur le pays et Yuan ne semble pas pressé d’en venir à bout. Les banques récalcitrantes avancent l’argent nécessaire pour apaiser les soldats, les Puissances qui craignent que Yuan ne soit débordé par les révolutionnaires, se montrent plus traitables. Le rusé Chinois trouve le moyen de leur prouver qu’à la rigueur, il pourrait se passer d’elles et de leur consortium ; il conclut avec le financier anglais Crisp un emprunt de 280 millions. Grand émoi dans le corps diplomatique et parmi les grosses banques du syndicat ! Mais l’emprunt Crisp n’est pas couvert, un accommodement se fait entre financiers et le consortium reste maître de dicter ses conditions. Yuan du moins a gagné du temps et des amis ; il a employé une partie de l’argent avancé par les banques à se créer une clientèle, à recruter, dans les provinces du Nord, des soldats dévoués, tandis qu’il licencie ceux du Sud. Aux chefs républicains, il persuade que seul il est en mesure d’inspirer aux étrangers la confiance indispensable pour obtenir d’eux les ressources nécessaires au gouvernement, qu’il a déjà remporté un succès inappréciable, l’abdication de la dynastie, la fin du régime mandchou, et que son pouvoir est la transition nécessaire entre l’ancien régime à jamais aboli et le régime démocratique de l’avenir. Les chefs des Kouomintang (parti du peuple) se laissent persuader ; ils abandonnent la partie, se retirent dans le Midi pour y reprendre en sous-œuvre l’éducation républicaine et nationale du peuple chinois. Pour les républicains, Yuan est l’homme nécessaire, un peu comme le fut, en France, M. Thiers