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rapidement les esprits des Chinois éclairés, qui créa une opinion publique et prépara une ambiance nouvelle dans laquelle pourrait s’acclimater un gouvernement à l’européenne.

Les conséquences de ces événemens, qui faisaient pression sur la Chine pour l’ouvrir aux outils et aux idées venus de l’extérieur, se rencontraient et s’amalgamaient avec les résultats d’une évolution morale interne, proprement chinoise. L’immutabilité apparente de la vie chinoise cache, en effet, des passions et des haines sous-jacentes, qui, de temps à autre, font explosion au dehors ; la masse évolue lentement, mais puissamment. La révolte latente des Chinois, surtout de ceux du Sud,, contre la dynastie mandchoue, ses mandarins, ses maréchaux tartares, se prolonge depuis la chute des Mings en 1614 ; elle a soulevé, au milieu du XIXe siècle, la terrible guerre des Taï-Pings, où des millions d’hommes périrent, où le Nord noya dans le sang la sécession du Sud. Cette guerre éternelle, toujours prête à recommencer, la Révolution de 1911 n’en est qu’un épisode. Parmi ces populations habituées à la vie corporative, aux responsabilités collectives, à une grande indépendance locale, qui ne font que commencer à s’élever à la notion d’un Etat centralisé, la pénétration des idées européennes a été rapide, mais incomplète. Les conceptions occidentales se sont, la plupart du temps, plaquées sur les âmes chinoises, elles les ont recouvertes comme d’un vernis sans les imprégner intimement ; elles leur ont donné des aspirations à la fois imprécises et violentes plutôt qu’un ensemble coordonné de conceptions raisonnées et adaptées aux besoins du pays. Les idées européennes sont entrées chez les Chinois, en même temps que les machines et les armes perfectionnées, par les ports ouverts, par les chemins de fer, par les livres. Beaucoup d’ouvrages, surtout français et anglais, ont été traduits ou adaptés ; Jean-Jacques Rousseau, dont les utopies sociales s’harmonisent assez bien avec les conceptions confucianistes, a exercé une grande influence sur des esprits encore peu aptes à la critique et qui absorbent pêle-mêle des notions hétéroclites et incomplètes. Le culte de Napoléon va de pair avec l’amour de la liberté. Napoléon leur apparaît comme le héros tutélaire qui fonde la liberté et achève la Révolution. : Dans la Marseillaise chinoise on chante :

« Washington, Napoléon, Fils de la Liberté,

« Venez vous incarner en nous. »