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commerce, agriculture industrialisée y ont accumulé des richesses capitalisées qu’il faut faire « travailler, » produire et qui s’emploient à ouvrir de nouvelles sources d’inépuisables richesses. La politique des nations « civilisées » est asservie, de plus en plus, à leur capital et à leur activité productrice. Nous avons montré ici, à l’époque où l’Empire du Milieu a commencé de s’ouvrir à l’influence et à l’activité occidentale[1], qu’il n’était pas possible que ce prodigieux réservoir de richesses inexploitées, ce marché colossal dont le pouvoir d’absorption est presque indéfini, restât toujours isolé de la vie européenne qui l’assiège de toutes parts. La révolution qui a transformé en 1868 le peuple insulaire du Japon, devait nécessairement se produire, plus lentement et par des voies différentes, dans la masse continentale de la Chine. C’est le Japon lui-même qui a été le premier instrument de cette transformation. En battant leurs frères jaunes, dans la guerre de 1894-1895, les Japonais leur démontrèrent la supériorité des outils et des armes des Européens. Armes et outils, c’est sous cet aspect industriel et matériel que se révélèrent d’abord les avantages de la civilisation occidentale et qu’ils s’imposèrent. Ce ne fut pas sans résistances. L’instinct de la conservation avertissait les Chinois que l’adoption de la civilisation européenne les entraînerait dans une série de révolutions, car elle repose sur l’autonomie de l’individu et l’autorité de l’Etat, tandis que la leur était une hiérarchie d’organisations familiales et communautaires. La révolte des Boxeurs (1900), dirigée à la fois contre le gouvernement et contre les étrangers, est un épisode de cette résistance. Les victoires du Japon sur une grande puissance européenne, la Russie, eurent, dans tout l’Extrême-Orient, un profond retentissement ; elles démontrèrent qu’en adoptant les outils de travail et de guerre des Européens, un peuple de race jaune peut maintenir son indépendance, manifester sa valeur, garder son originalité et son particularisme. Les réformes à l’européenne devaient donc être la première étape d’une transformation dont l’aboutissement serait le relèvement et le triomphe de la Chine en face des étrangers. Dès lors, nationalisme et réformisme devinrent les deux aspects d’un même mouvement qui conquit

  1. Voyez la Revue du 15 septembre 1897 et du 1er novembre 1899 et nos ouvrages : la Chine qui s’ouvre (Perrin, 1900, in-12) et la Lutte pour le Pacifique, Origines et résultats de la guerre russo-japonaise (Perrin, 1906, in-8).