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en même temps. Depuis 1878, l’activité russe, arrêtée dans le proche Orient par la grande déception du Congrès de Berlin, se tourne vers l’Extrême-Orient ; elle est mise en échec en 1904-1905 par les victoires du Japon. Les conventions de 1907 qui rétablissent des rapports confians, fondés sur un partage équitable d’influence entre Pétersbourg et Tokio, rendent à la Russie sa liberté d’action en Occident. L’entrevue de Revel entre Nicolas II et Edouard VII en juin 1908, et la fin de l’entente austro-russe pour le maintien du statu quo balkanique (janvier 1908) marquent la reprise de l’activité russe dans les Balkans. La coïncidence des dates est frappante et n’est pas fortuite. La présence de la Russie avec toutes ses forces en Europe est nécessaire à l’équilibre et à la paix générale ; elle est indispensable à notre sécurité : il suffit de rappeler quels événemens ont agité l’Europe et mis la France en péril, de mars 1905 jusque la convention franco-allemande du 4 novembre 1911. Cette raison, — si nous n’en avions pas d’autres et de très puissantes, — suffirait à nous intéresser aux événemens qui s’accomplissent en Extrême-Orient.


I

Une révolution, une république en Chine, dans la vieille Chine des traditions et des rites où le pouvoir, descendu d’En Haut, s’incarnait depuis quatre mille ans dans la personne sacrée de l’Empereur, Fils du Ciel, et dont l’immutabilité absorbait et assimilait les conquérans eux-mêmes, c’est à coup sûr l’un des événemens les plus invraisemblables qui aient, en ces dernières années, bouleversé la face du globe. Peut-être est-il cependant moins paradoxal qu’il n’en a l’air. Il s’explique par la rencontre d’une double série de faits économiques extérieurs et de faits moraux internes. Nous voulons dire que d’abord la transformation de la Chine apparaîtra, quand on observera les événemens contemporains avec le recul nécessaire, comme l’une des conséquences de cette révolution économique, unique dans l’histoire de l’humanité, qui a, par la machine et la grande industrie, transformé l’Europe et les pays de civilisation européenne en un immense atelier qui produit des objets fabriqués qu’il faut vendre et qui absorbe des matières premières et des denrées alimentaires qu’il faut acheter. Industrie,