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la fumée forcera bien Mabiala à sortir. ! S’il ne sort pas ?… Quelques brassées d’herbes ajoutées à cette paille, et la mort de M. Laval serait vengée, le pays serait préservé de l’insurrection, des massacres, qui suivraient fatalement un échec. La véritable humanité est-elle de repousser l’arme que l’incendie m’apporte et de sacrifier la vie des Européens, des miliciens du Congo à celle de Mabiala ? L’humanité a plus de droits d’un côté que de l’autre, et de plus ses droits sont conformes aux intérêts de la France.

Je dis aux tirailleurs : « Ramassez toute la paille coupée. »

Maintenant, je fais crier, sans arrêt, par l’interprète le danger qui menace la grotte. Que tous sortent ! Tout à l’heure il sera trop tard I Sauf Mabiala, tous auront la vie sauve !

Il est midi. Depuis six heures, je lance ces appels.

Le feu lèche le rebord des rochers ; autour de la caverne le ravin s’enflamme.

Des pas pressés résonnent dans la brousse au-dessus de nous. Marchand arrive avec les tirailleurs au pas gymnastique ; il descend vers nous. Avant même d’avoir rencontré M. Jacquot, de la route qu’il suivait, il a entendu et vu l’explosion. Effrayé, il a piqué droit sur le panache de fumée.

En quelques mots, je le mets au courant, et lui montre les tirailleurs prêts à alimenter le feu qui vient de gagner la première chambre.

Il reste un instant silencieux. Toutes les réflexions qui ont passé dans mon esprit traversent le sien… « Allez, » dit-il.

Je fais un geste ; les herbes tombent dans le foyer.

Deux heures plus tard, un tirailleur se glissait dans le tunnel, et, dès le premier pas, se heurtait à un cadavre.

Mabiala avait dû essayer de sortir, mais trop tard : il était tombé asphyxié au seuil du couloir.


Colonel BARATIER.