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déluge de pierres commence autour de moi, dans un fracas, d’arbres hachés, de brousse écrasée, de terre enfoncée. Je me relève et j’examine le rocher. Le résultat n’est pas sensible. La dalle n’a pas bougé. Mais subitement un doute me prend. Mabiala est-il encore là ? S’il a pu tirer sur moi, tout à l’heure, sans être vu, il a pu aussi bien s’échapper, dans le moment de stupeur causé par le coup de feu et la blessure du tirailleur. Voilà que les herbes crépitent, elles se sont enflammées. Le vent souffle, il ne faut pas songer à les éteindre ; je donne l’ordre de les couper rapidement en avant des blessés. Le ravin est à contrevent ; l’incendie ne le gagnera que lentement, les sentinelles ne craignent rien pour l’instant.

Je me pose de nouveau la question : Mabiala est-il encore là ? Je me découvre pour essayer de voir si le couloir est obstrué ; des éboulemens ont pu se produire à l’intérieur sous l’action de la secousse imprimée au sol par l’explosion. Je ne remarque ; rien. Cette fois nul coup de feu ne jaillit.

J’appelle l’interprète, je lui dis de répéter ce qu’il a déjà crié, qu’un nouveau tonnerre achèvera de tout démolir si Mabiala ne se rend pas, que ses compagnons se hâtent de sortir.

J’attends. Mes objurgations restent sans réponse. Que faire ? Si Mabiala m’a échappé, c’est un échec qui nous coûtera cher, mais s’il est encore là et si je me retire devant lui, sa victoire atteindra des proportions fabuleuses. Il n’est pas seulement Mabiala Minganga, Mabiala le Grand, il est le grand féticheur, celui qui parle avec les esprits. Sa puissance deviendra une puissance surnaturelle ; tous les fétiches alignés devant sa caverne auront suffi à mettre les blancs en fuite !

J’examine le ravin, la position des sentinelles qui se trouvent du côté où Mabiala aurait pu fuir ; il est possible en effet qu’elles ne l’aient pas vu se sauver.

Le feu est descendu de la hauteur, il va gagner le ravin. Je donne l’ordre aux tirailleurs de couper les herbes autour d’eux. Pour le faire, plusieurs sont forcés de se montrer, et pas un coup de fusil n’est tiré à leur adresse. Que signifie ce silence ?… Mabiala est-il écrasé par un éboulement ?

Je regarde le feu s’avancer sur la grotte ; tout à l’heure les herbes devant l’entrée s’enflammeront ; dans la première chambre il y a une litière de paille qui servait de couchette au grand féticheur et à ses hommes ; lorsque celle-ci prendra feu,