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suis obligé d’accourir pour empêcher cette folie. Pas un ne reviendrait. Ils n’y entreraient même pas ! Le premier tombé boucherait le couloir. D’ailleurs, mon saucisson de poudre est prêt.

Je prends, dans les quatorze hommes qui me restent, cinq tirailleurs pour rouler des rochers jusque sur la dalle, voûte de la caverne, afin de bourrer la dynamite. Que les sentinelles fassent attention ! elles ne sont plus que neuf.

Pendant que les morceaux de roc roulent et s’accumulent, un genou à terre, aidé d’un tirailleur, dans la même position, à côté de moi, je ficelle le saucisson et les deux kilos de dynamite. Un éclair jaillit en face de nous, le tirailleur s’écroule l’épaule hachée. Mabiala était inquiet, sans doute, du bruit qu’il entendait au-dessus de sa tête, il n’était plus surveillé que par un petit nombre de sentinelles, distraites peut-être par mon travail ; il a pu, sans être vu, se glisser jusqu’à l’arbre qui se dresse au bout de la grotte, et se hisser derrière lui. Me voyant occupé, une masse métallique dans les mains, probablement ce tonnerre dont je l’ai menacé, il m’a lancé un coup de fusil à 10 mètres.

Il tire à chevrotines ; cette nuit, son premier coup de feu à bout portant a écarté et blessé les deux hommes à mes côtés ; cette fois, à 10 mètres, les chevrotines ont fait balle ! Comment une seule d’entre elles ne s’est-elle pas écartée et n’a-t-elle pas frappé la dynamite, me lançant dans les airs ?

Le tirailleur qui m’aidait a une horrible blessure, il n’a plus qu’un trou à la place de la clavicule. Ses camarades, les treize qui me restent, trépignent de fureur. Je leur montre l’arbre qui a servi au grand féticheur : « Si vous aviez fait votre devoir, au lieu de me regarder, Mabiala ne serait pas sorti ; vous l’auriez tué ou pris. Maintenant, surveillez le trou et ne bougez plus ; collez-vous aux arbres ; il va pleuvoir des rochers. »

Tout est prêt, les tirailleurs se sont éloignés, les blessés sont à l’abri. Le saucisson que j’ai confectionné a environ 1 m. 50, mais sa combustion sera instantanée ; pour la retarder, je fais une traînée avec la poudre inemployée. La traînée est courte I La mine explosera à quelques mètres de moi. Encore une fois : à Dieu vat !

J’allume et me sauve. Une détonation formidable ébranle l’air et la terre ; je m’aplatis. Les quartiers de roc, les uns entiers, les autres pulvérisés, montent à près de cent mètres ; puis le