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Midi.

La poitrine est remplie ; la respiration courte, la connaissance extérieure perdue ; mais une force musculaire très considérable. On lui a mis un vésicatoire sur la tête, il a résisté beaucoup. La poitrine est toujours plus oppressée, mais il n’a aucun mouvement convulsif.


1 heure et demie.

Le bruit de la poitrine diminue ; il ne donne aucun signe de souffrance ni d’agitation. Avant 2 heures de l’après-midi, sans convulsion, il a cessé de respirer.

Je crois intéressant de compléter ce récit des derniers jours de M. Necker par une lettre que treize ans après, au lendemain de la mort de Mme de Staël, un pasteur qui avait célébré quelque temps le culte à Coppet adressait à Auguste de Staël. Cette lettre donne les mêmes détails que le récit de Mme Rilliet Huber, mais insiste davantage sur les sentiments religieux de M. Necker :

Le jour de Pâques, le 1er avril, je me rendis chez lui en sortant de prêcher. « De quel sujet, me dit-il, avez-vous entretenu votre auditoire ? Récitez-moi le morceau le plus saillant de votre discours. » Je lui dis que ces belles paroles du Sauveur mourant : « Pardonnez-leur, ô mon Père, car ils ne savent ce qu’ils font » avaient été le sujet du sermon. « Bien, dit-il, c’est le sublime de la générosité, et l’observation d’un devoir souvent fort difficile a besoin d’être encouragée par un tel exemple. Hélas ! ils ne savent aussi, depuis longtemps, ce qu’ils font, ceux qui gouvernent la France. » Le Duc d’Enghien venait d’être amené à Paris ; il en était navré et je lui témoignai mes craintes sur l’issue de cet attentat. « Non, non, me dit-il, ne craignez pas ce que vous paraissez redouter, ce crime serait trop horrible. Un petit-fils du grand duc Condé, l’unique reste de cette race de héros, il est impossible que Bonaparte, homme de guerre, ose, veuille même commettre un pareil forfait. L’exécration du siècle présent et des siècles à venir est devant lui. Il le retiendra quelque temps en captivité jusqu’à ce que, sa puissance étant plus affermie, il n’ait rien à craindre de lui. » — J’admirai la générosité de ces sentimens et je me tus. N’ayant vécu que huit jours de plus, il n’a rien su de l’horrible assassinat qu’on se serait bien gardé de lui apprendre[1]. Le lendemain, les mêmes sujets consolans de piété l’occupèrent. Il recommandait à Dieu sa fille qu’il paraissait désespérer de revoir, et ses enfans. C’est alors que, m’ayant demandé avec vivacité : « Ne croyez-vous pas que l’indulgence, la plus belle qualité chez les hommes, est aussi le plus bel attribut de l’Être suprême ? Vous me comprenez, ajouta-t-il. Dans de grandes circonstances, avec les intentions

  1. Le pasteur fait erreur, M. Necker connut l’exécution du duc d’Enghien.