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choses. La langue en est un peu pompeuse, défaut qui d’ailleurs était celui du temps, mais certains passages ne manquent ni d’éloquence ni d’élévation. Je citerai, en particulier, celui-ci tiré d’un discours sur la mort dont le texte est emprunté à l’Ecclésiaste : « La vie n’a point de défense, quand il faut aller au tombeau. »

La mort !… La mort !… Quel nom je viens de vous prononcer ! La mort !… Tout fuit, tout disparaît devant elle. Quelle image sombre et terrible je vais offrir à votre pensée ! Le printemps a coloré nos campagnes, la terre s’est parée d’un éclat nouveau ; les fleurs, les plantes, les arbrisseaux, nos jardins, nos prairies, tout s’anime, tout s’embellit. La mort !… Et vous ne verrez plus un si beau spectacle ; et vous n’assisterez plus au retour solennel des magnificences de la nature !

Le mouvement continuel du monde social attire vos regards, irrite votre curiosité ; vous y réussissez par les différentes prétentions de l’orgueil ou de la vanité ; vous faites du plus petit intérêt une grande inquiétude, du plus faible désir une forte passion ; vous êtes enfin dans tout le sérieux de la vie. La mort !… Et ce monde, avec qui vous croyez avoir fait une alliance éternelle, ne sera rien pour vous, comme vous ne serez rien pour lui ; et pas un grain de votre poussière ne s’animera aux mots d’ambition, de succès, de gloire ou de célébrité, à ces mots, qui, hier encore, exaltaient votre sentiment, faisaient bondir toutes vos pensées. La mort !… Et vous serez un corps glacé, sans action et sans parole, et que l’immensité des sables de la terre appelle et revendique.

Hélas ! et qu’elle est surtout effrayante, cette dernière perspective ! Les plus doux liens, les plus tendres affections vous rendent heureux ; et votre cœur palpite aux noms si puissans de père ou de mère, d’épouse ou d’époux, de fils ou de frère ; vous croyez qu’avec des sentimens si vifs, si continuels, et qui placent votre vie hors de vous, aucune fin, aucune interruption n’est possible. La mort !… L’inexorable mort !… Et vous n’entendrez pas même les cris de douleur, les plaintes lamentables des amis que vous aurez quittés, et qui vous redemandent, vous appellent en vain. 0 mort Ile roi des épouvantemens, que vous avez été bien nommée ! Dieu de bonté, Dieu d’espérance ! ah ! nous vous chercherons ! Pourrions-nous, sans vous, sans vos consolations, regarder l’avenir[1] ?

Des ouvrages de longue haleine n’occupaient pas seulement le temps de M. Necker. Il avait encore pris l’habitude, dans les deux dernières années de sa vie, de jeter sur le papier des pensées que lui suggéraient les sujets les plus divers. Ainsi faisait également Mme Necker, et après la mort de sa femme, M. Necker s’était fait un devoir de joindre, aux trois volumes de Mélanges

  1. Œuvres complètes de M. Necker, t. XIV, p. 264.