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répression ; Bethmont se précipite à sa suite : « Est-il vrai que vous allez faire arrêter Jules Favre ? » Le général le rassure : il n’a pas un aussi noir dessein ; son ministère n’est pas un ministère de coups d’État ; il prie seulement l’honorable député d’engager Jules Favre à tenir compte de la gravité des circonstances et à modérer son langage.

Révolté de l’attitude de la Gauche, Buffet, dominant tout le débat de sa forte et éloquente parole, dit avec une solennité pathétique : « Le gouvernement parlementaire a, dans une grande crise, à faire ses preuves. Il faut qu’il prouve que, pendant la guerre, il est propre à défendre le pays, comme à discuter, dans la paix, ses intérêts. En présence de l’ennemi, malgré les divisions, malgré les partis qui peuvent exister, qui existent légitimement dans cette Chambre, c’est à nous, partisans de ce régime libéral, de montrer que nous avons un seul désir, une seule passion : l’union de tous les sentimens et de toutes les énergies vers un même but, vers un même résultat : chasser l’étranger. » (24 août.) Une acclamation enthousiaste accueille ces nobles accens, aussi sincères sur les lèvres du loyal orateur qu’ils l’étaient peu sur celles de tant d’autres. Mais l’assemblée ne demeura pas sous l’empire de ce sentiment, et revint vite à ses passions aveugles.

Thiers expliqua que, favorable aux propositions de Kératry, il les abandonnait pour éviter une crise ministérielle. Puis, rappelant que Duvernois avait invoqué l’intérêt des institutions, il poursuivit : « Je fais un sacrifice au pays et à la Chambre en ne portant pas la discussion sur ce sujet ; mais je supplie qu’on ne fasse pas figurer ici un intérêt de ce genre. Nous savons tous aujourd’hui pourquoi la France combat ; elle combat pour son indépendance ; elle combat pour sa grandeur, pour sa gloire, pour l’inviolabilité de son sol. Tous, nous le savons, à gauche, au centre, à droite ; c’est éclatant comme la lumière, et tous nos cœurs battent à l’unisson quand vous parlez de ces grands, de ces sublimes intérêts de la patrie. Mais, de grâce, ne nous parlez pas des institutions : vous ne nous refroidirez pas, vous ne diminuerez pas notre zèle pour la défense du pays ; mais, sans nous refroidir, vous nous frapperez au cœur en nous rappelant ces institutions qui, dans ma conviction à moi, sont la cause principale, plus que les hommes eux-mêmes, des malheurs de la France. » (Bravos et applaudissemens à gauche. Rumeurs au