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présence d’un ennemi dont on connaissait la hardiesse, consistait, en couvrant Metz, à faire replier nos armées sur la ligne d’opération la plus favorable à la défense de Paris. On pouvait ainsi disposer de deux cent mille hommes, les établir sur un terrain de bataille excellent et leur ménager une retraite sûre, qui avait l’inestimable avantage de fournir à la capitale une armée de secours. Mais en adoptant ce parti, il fallait ou abandonner l’Empereur ou le ramener à Paris dont on redoutait les ressentimens. Le ministère Palikao crut sans doute pouvoir sauver la couronne et le pays : en réalité, il sacrifia le pays à la couronne[1]. »


On revint à la proposition de Kératry. Il la reprit et la soutint avec une extrême acrimonie. Il recommença véhémentement le thème ordinaire : « La nation expie vingt et un ans

  1. Lettre du général Le Gros, commandant la 83e brigade d’infanterie et la 3e subdivision du 6e corps d’armée, à Emile Ollivier : « Chàlons, 11 août 1913. — Monsieur le Président, — je viens de lire votre dernier article dans la Revue des Deux Mondes sur la « Déposition de l’Empereur. » — Vous citez le commandant Vidal, vieux soldat de Crimée et d’Italie. C’est moi qui l’ai poussé à publier ses souvenirs de la « Campagne de Sedan, » parce que je les jugeais de nature à fournir à l’Histoire des données vécues et exactes. J’avais rédigé une courte préface dans laquelle je jugeais sommairement, comme elle le mérite, la combinaison abracadabrante, qui relève du vaudeville, par laquelle le général de Palikao, de funeste mémoire, avait la prétention d’assurer la jonction des armées de Metz et de Chalons.
    « Vous avez mille fois raison de vous élever comme vous le faites contre les allégations audacieuses de ce pseudo-homme de guerre, qui agissait en face des armées allemandes victorieuses comme il l’eût fait contre les Chinois ! J’ai publié dans le Journal des Sciences militaires en 1895 une étude très objective et très positive, où je démontre irréfutablement que le plan ( ? ) Palikao suivi à la lettre n’aurait pu que nous valoir le 26 août un désastre analogue à celui qui noua attendait le 1er septembre à Sedan !
    « En 1905, le général Canonge me pria de résumer ce travail en une note qu’il a reproduite dans son Histoire de la guerre de 1870. Voulez-vous me permettre, sans amour-propre d’auteur, de vous en envoyer la copie ? Vous verrez que les argumens qui la composent s’accordent pleinement avec la thèse que vous venez de soutenir si brillamment.
    « Oh ! oui, en 1870, un grand chef au début, et nous battions sûrement les Allemands ! Il eût fallu vouloir, répartir les forces en vue du but et agir à fond sur le point choisi, dès le 29 juillet, sans s’arrêter aux doléances. On aurait cru vraiment que l’on entrait dans un désert où tout manquait. Il fallait passer outre, attaquer une des armées ennemies, la IIIe à mon avis, du fort au faible ; puis on aurait avisé pour exploiter un succès certain. Même après Frœschwiller et Spickeren, tout pouvait se réparer avec du savoir-faire et de la décision. Hélas ! nous n’avions ni l’un ni l’autre !
    « Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de mes sentimens de respectueuse sympathie,
    Général LE GROS. »