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défectuosité de son instruction, du relâchement de la discipline, de l’absence de respect et de confiance en ses chefs ; la défense à Paris ne pouvait être qu’une héroïque folie. Les députés de la gauche ne se troublèrent pas de ces expansions pessimistes : après le premier choc, ils les mirent sur le compte d’un esprit justement alarmé par la grandeur d’une tâche sans précédent, et ne voulurent garder de cette conférence que le souvenir des qualités éminentes et du caractère chevaleresque qui venaient de se révéler à eux. Trochu leur témoigna, en les congédiant, une affectueuse cordialité[1].

Se croyant déjà chef de l’Etat, autorisé à recevoir quiconque se présentait à lui, il correspondait sur les choses militaires avec le prince Napoléon, sans en informer son ministre. Le Prince lui envoya de Florence (22 août) la note suivante : « Je suis envoyé ici par l’Empereur et le maréchal Mac Mahon pour décider l’Italie et l’Autriche à faire la guerre. Mon opinion est que l’Italie pourrait donner 50 000 hommes dans huit jours, portés à 100 000 dans quinze jours et 150 000 dans un mois. Je suis sans nouvelles précises et je m’adresse à vous qui avez mon amitié et ma confiance. Dites-moi quelle est notre situation militaire et donnez-moi votre avis sur la direction des soldats italiens si je pouvais les obtenir. Faut-il les diriger par le Mont-Genis sur Belfort ou par les Alpes sur Munich ? Dans ce cas, la permission de l’Autriche est nécessaire pour qu’on passe sur son territoire… réponse urgente ; prière de garder le secret sur ma note. »

Trochu répondit : « Nouvelles améliorées, le maréchal Mac Mahon s’étant remonté et Bazaine s’étant ravitaillé, mais grande incertitude au sujet des combinaisons et opérations ; on les tient secrètes, s’il y en a. — Il faudrait concentration sur Lyon, et de là, par marche perpendiculaire, menacer le flanc gauche de l’invasion dans la direction de Belfort ou de Langres. Des éclaireurs ennemis paraissent à Châlons et à Troyes. La défense de Paris marche bien. Respectueux dévouement. »

Cependant l’Impératrice s’effrayait de la défection générale qu’elle sentait autour d’elle. Elle appela Trochu et lui demanda anxieusement s’il la défendrait, et si, en cas d’émeute, il protégerait le Corps législatif et les Tuileries. Trochu aurait

  1. Jules Favre, tome I, p. 49.