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général, tenez, il faut que je vous dise ce que j’ai sur le cœur. Quand je viens ici, je suis un brave soldat : je ne suis plus jeune, mais je suis confiant dans les clémens de résistance qu’une nation comme la nôtre peut offrir à l’ennemi ; si je vois une difficulté, je cherche à la surmonter ; si je rencontre une objection, je cherche à la résoudre. Mais, quand je vous ai écouté pendant un quart d’heure, il faut bien le dire, je ne vaux plus rien. La vérité est que vous êtes président, non d’un Comité de défense, mais d’un Comité de défaillance[1]. »

Trochu ne se contentait pas de ne pas s’occuper de la dynastie ; il était entré complaisamment ; en rapport avec ses ennemis déclarés. Emmanuel Arago était reçu par lui depuis les premiers instans de son installation au Louvre, et les autres, Picard, Ferry, Gambetta, étaient venus successivement. Palikao, qui le flairait et qui n’osait le révoquer, eut la velléité de lui créer un rival. Il tâta Wimpffen, qu’il allait envoyer à la place de Failly et lui proposa de renoncer au commandement du 5e corps pour prendre celui du 14e corps en formation à Paris : « Il est possible, lui avait-il dit, que le général Trochu cherche trop à grandir sa personnalité et qu’il agisse au détriment de l’ordre établi ; il est possible qu’il devienne un homme embarrassant ; dans ce cas, votre valeur nous permettrait de vous confier sa place. » Wimpffen se récria et déclara qu’il n’entendait pas se mettre en opposition avec un compagnon d’armes, qu’il était résolu à ne prendre parti ni pour ni contre lui, et qu’il préférait se rendre à l’armée où il porterait la hardiesse qu’on voulait bien lui reconnaître.

Cette velléité n’eut pas de suite. Le ministère, n’espérant plus se servir de Trochu et n’osant pas le briser, prit le parti de ne plus s’en occuper ; on cessa de l’appeler au Conseil où il entravait les délibérations par ses interminables harangues, on le laissa se remuer à sa guise et il s’occupa en liberté à préparer son avènement. Pietri seul lui communiquait les rapports de police, et allait s’entretenir avec lui dans le vain espoir de pénétrer ses desseins ; Palikao ne lui transmettait ni instructions, ni ordres, ni renseignemens. Il fit juger et ordonna de fusiller un Prussien arrêté comme espion du côté de Gien, sans que le gouverneur de Paris, chef responsable de la Justice

  1. Dépositions de Rouher et de Jérôme David.