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dégoût. L’idée d’y maintenir l’ordre par l’ascendant du patriotisme s’exprimant librement, de l’honneur et du sentiment des périls évidens du pays, me remplit d’espérance et de sérénité. Mais le problème est ardu : je ne puis le résoudre seul ; je puis le résoudre avec l’appui de tous ceux qui ont les croyances et la foi que j’exprime ici ; c’est ce que j’ai appelé le concours moral. Mais il peut arriver un moment où Paris, menacé sur toute l’étendue de son périmètre et aux prises avec les épreuves d’un siège, sera pour ainsi dire livré à la classe spéciale de gredins « qui n’aperçoivent dans les malheurs publics que l’occasion de satisfaire leurs appétits détestables. » Ceux-là, on le sait, errent dans la ville effarée, criant : « On nous trahit ! » pénètrent dans la maison et la pillent. Ceux-là, j’ai voulu recommander aux honnêtes gens de leur mettre la main au collet, en l’absence de la force publique, qui sera aux remparts, — et voilà tout. »

Cette lettre était absolument contraire aux devoirs d’un chef militaire subordonné. C’était la lettre d’un chef de gouvernement critiquant ses devanciers et proposant son propre programme ; c’était une diatribe contre l’Empire, une sorte de déchéance morale prononcée contre le régime. Il était évident que, si un chef militaire pouvait impunément se permettre un tel langage, il devenait implicitement le maître et le chef de la nation.

Le seul esprit perspicace et audacieux du ministère, Clément Duvernois, proposa de répondre à ce pronunciamiento moral par une révocation immédiate. Indépendamment de son manifeste, la nomination de Trochu, comme gouverneur de Paris, était la conséquence du retour de l’armée et de l’Empereur, et, puisque ce retour ne s’opérait pas, elle devait être rapportée. Il y avait déjà à l’armée, côte à côte, un empereur et un maréchal : était-il sage de constituer à Paris, côte à côte, l’autorité rivale de deux généraux ? N’y avait-il pas déjà assez d’anarchie, de trouble, de confusion, pour qu’on ajoutât ce nouvel élément à tant d’élémens perturbateurs ?

Les ministres n’avaient d’autre règle de conduite que de ne pas déplaire aux révolutionnaires de la Chambre et de la rue. Pourquoi leur auraient-ils refusé Trochu, en qui la révolution plaçait son espérance militaire ? Ils repoussèrent la proposition de Duvernois et se limitèrent à demander des explications. Trochu n’en fut point avare. Il battit l’estrade et commença