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général s’annonçait comme étant un serviteur du pays et non un serviteur de l’Empire. Elle se terminait par une phrase incohérente où étaient recommandées à la fois l’action par l’autorité morale et l’application de la loi du lynch américain, la justice par ses propres mains : « Je fais appel à tous les hommes de tous les partis, n’appartenant moi-même, on le sait dans l’armée, à aucun parti qu’à celui du pays ; je fais appel à leur dévouement. Je leur demande de contenir par l’autorité morale les ardens qui ne sauraient pas se contenir eux-mêmes et de faire justice de leurs propres mains de ces hommes qui ne sont d’aucun parti, et qui n’aperçoivent dans les malheurs publics que l’occasion de satisfaire des appétits détestables. » (18 août.)

Les ministres, sauf Palikao, furent très surpris de cette publication qu’ils apprirent en ouvrant le Journal officiel. Ils se plaignirent fort qu’un acte aussi grave eût été consommé sans qu’on les eût préalablement consultés. De la part d’une Régence et d’un chef de Cabinet qui se piquaient de parlementarisme[1], le procédé en effet ne manquait pas d’impertinence. La proclamation affichée irritait surtout les parlementaires : on se la passait de main en main. Cependant il était difficile de reprocher a Trochu une proclamation qu’il avait soumise d’abord à l’approbation de la souveraine et qui avait été affichée par les soins du ministre de l’Intérieur. On le laissa donc parler sans le contredire lorsqu’il voulut s’expliquer et on lui accorda courtoisement le traitement qu’il réclama en invoquant des charges de famille et une paternité adoptive des fils de son frère.

L’opinion publique s’alarma plus fort et de la nomination et de la proclamation. Dans la nomination on voyait le renoncement à l’espoir d’arrêter les Prussiens en marche sur Paris ; dans la proclamation on était choqué de l’appel à l’autorité morale qui promettait implicitement l’impunité. L’exhortation au lynch effraya surtout : fallait-il donc admettre que, dans certains cas, les citoyens se fissent justice eux-mêmes ? La justice prompte et sûre des tribunaux militaires ne suffisait-elle pas à toutes les répressions légitimes ?

Palikao s’efforça d’apaiser ces alarmes par ses déclarations à la Chambre : « Messieurs les députés, permettez-moi de vous donner quelques explications sur un fait auquel on a attribué

  1. Jérôme David : « Il y avait dans le sein du Conseil un parti parlementaire très fort, à la tête duquel était le comte de Palikao. » (Déposition.)