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des musulmans qu’ils favorisent. La presse italienne a jeté feu et flamme contre l’Autriche et la presse autrichienne lui a rendu la pareille, quoique plus faiblement. L’hostilité entre les deux alliés s’exaspère de plus en plus. Le prince est Allemand, et non pas Italien ; il est plus près de l’Autriche que de l’Italie, et sa situation, incertaine dans le présent et encore davantage dans l’avenir, cause plus de soucis à Vienne qu’à Rome. Il n’a aucune racine dans le pays : comment, d’ailleurs, pourrait-il en avoir ? Sa fuite sur un bateau étranger, son retour probablement provisoire, son peu de confiance dans ses sujets, sa prudence qu’il pousse aux dernières extrémités, sa précipitation à se mettre en sûreté à la moindre alerte, ne sont pas de nature à créer autour de lui des sympathies et des dévouemens : on se demande s’il était l’homme de l’aventure où on l’a jeté.

Nous avons dit que le comte Berchtold avait présenté aux Délégations les vicissitudes du gouvernement albanais comme toutes naturelles et assuré qu’il ne fallait pas s’en inquiéter. Ce sont choses des Balkans, a-t-il dit. Le prince Guillaume, lui aussi, après l’arrestation et l’expulsion d’Essad pacha, avait écrit à ses parens en Allemagne qu’il se portait fort bien et que ses affaires avaient pris la meilleure tournure. Mais le surlendemain, quand il s’est cru obligé à s’embarquer, le prince a perdu de son assurance et il semble bien que la confiance du comte Berchtold ait diminué pareillement. On parle en effet à Vienne et encore plus à Rome de provoquer une intervention européenne pour rétablir l’ordre et la sécurité en Albanie. S’il s’agissait seulement de la sécurité du prince, la proximité de la mer, ou plutôt sa contiguïté avec la demeure princière, permettrait assez aisément de l’assurer ; mais pour ce qui est de l’Albanie, la difficulté est plus grande et ce serait une lourde tâche pour l’Europe que d’y faire régner l’ordre matériel. En tout cas, on ne voit pas assez clair dans les affaires de l’Albanie pour en assumer la charge sans plus ample information. Les Puissances de la Triple-Entente n’ont aucun intérêt direct dans ce pays, si ce n’est celui d’y diminuer, par bonté d’âme, les embarras de l’Autriche et de l’Italie et, en fin de compte, de les empêcher de s’y battre ; mais cet intérêt est encore plus grand pour l’Allemagne et elle peut y suffire. Envoyer des soldats français faire campagne en Albanie pour servir des intérêts qui ne sont pas ceux de la France serait chez nous une entreprise peu populaire. Sans doute, il y a une solidarité européenne, à laquelle nous ne devons pas rester étrangers, mais elle a des limites qu’il ne faut pas franchir à la légère. Il y a quelques années, lorsque des