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éclat. Deux pages seules y ont vieilli, qui d’ailleurs ne furent jamais très jeunes : le serment des deux hommes à la fin du second acte, et le finale du troisième acte, un peu suranné comme ensemble, malgré la valeur et la nouveauté de certaines parties.

Avec un Otello, voyez-vous, après un Scemo, tout change. On quitte les régions de l’artifice laborieux et contraint pour le royaume de l’art libre et pur. On passe des ténèbres au jour. Par l’intelligence et par l’âme, on entre véritablement dans l’ordre des choses tout à fait hautes. Auprès d’Otello, Falstaff excepté, qui le surpasse encore, quelle œuvre nommerez-vous, depuis vingt-cinq ou trente ans, qui soutienne ce voisinage ? En quel opéra, de quel pays, trouverez-vous au même degré ces trois élémens dont nous parlions, et sans lesquels, au théâtre surtout, il n’y a pas de musique : l’humanité, la vérité et la vie ! Ah ! celui-là, — c’est Verdi, que nous voulons dire, — devant un drame, devant une situation, devant une phrase ou seulement un mot, ne s’est pas travaillé, torturé, pour y plier, pour y rompre la musique indocile et rebelle. Mais en lui, hors de lui, la musique a jailli d’elle-même, forme sensible, signe éloquent et fidèle du sentiment ou de la passion qui l’avait provoquée.

Nombreux et variés sont les points de vue d’où l’on peut regarder la partition d’Otello. Autant que l’évolution et le progrès du génie, à l’âge accoutumé de son déclin, elle en atteste la constance et l’identité. Boito, sous une forme pittoresque, a dit vrai : « Verdi n’a cessé de monter, sur ses propres épaules. » Son renouveau n’a rien eu d’un renoncement, encore moins d’une contradiction. Plus d’un caractère de l’œuvre serait à rappeler encore. Entre autres, peut-être avant tous les autres, l’entière indépendance à l’égard de l’idéal et du style wagnérien. Ce n’est pas la moindre joie qu’Otello nous donne, d’entendre un opéra tout entier absolument libre, absolument pur du leitmotif. Il nous semble aussi, et même il fait plus que nous sembler, que l’éternel problème du rapport entre l’orchestre, ou la symphonie, et la parole, ou la voix, reçoit une solution plus juste et plus harmonieuse dans Otello que dans le drame wagnérien, et cela sans que la psychologie musicale y perde rien de sa force et de sa profondeur, de sa délicatesse et de sa variété.

On a beau dire, — et cet « on »-là n’est pas le premier venu, — que l’expression, ou la sensibilité, n’est pas l’affaire de la musique, ce sera toujours à leur vertu de nous émouvoir que, même en musique, nous reconnaîtrons les chefs-d’œuvre, les vrais, les grands. C’est à ce