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qu’obligatoire, d’une œuvre composée par un « prix de Rome. » L’avancement, pour cette sorte d’ouvrages, se règle peut-être au choix, ou à l’ancienneté, à moins que ce ne soit au hasard. Dans la dernière hypothèse, il se pourrait, comme dit la chanson, que « le sort tombât sur le plus jeune. » Tel ne fut pas le cas cette année. Le compositeur de Scemo doit être revenu de Rome depuis quelque vingt ans.

Scemo, c’est encore une histoire d’aveugle, et d’aveugle amoureux, mais d’un jeune aveugle, d’un aveugle corse, et qui perd la vue au second acte du drame seulement. Lazzaro, surnommé Scemo, est un brave et pauvre garçon, un peu singulier, un peu contrefait aussi, qui vit retiré dans la montagne, au-dessus du village. Pour seul plaisir, il a sa flûte et ses chansons ; pour toute beauté, ses yeux, des yeux étranges, que les gens d’en bas accusent de jeter des sorts. Ils ont charmé, ces yeux et ces chants, le cœur de la jolie Francesca. Charme innocent, pur amour, que l’époux et le père de Francesca n’en ont pas moins résolu de punir. Ils montent ensemble à la cabane de Lazzaro. Ils l’accablent d’injures et de coups. Ils le tueraient même, s’ils ne craignaient, après sa mort, et contre ses meurtriers, l’influence fatale du jettatore.

Aussi bien, le vieux père en sera bientôt, ou s’en croira victime. La nuit venue, il est saisi par un vague et superstitieux effroi, qui se change très vite en convulsions, délire, apoplexie, dont il meurt. Aussitôt la voix publique accuse Scemo, non seulement de maléfice, mais-de meurtre. Le village entier se lève contre lui. On le prend, on l’attache au tronc d’un arbre, on va le brûler vif, et le feu sera mis au bûcher par la main de l’épouse elle-même, que contraint et conduit la main vengeresse de l’époux. Mais à ce moment, par un effort désespéré, Scemo rompt ses liens. Puis, d’un mouvement encore plus tragique et moins prévu, plus inutile surtout, il se crève les yeux, ces yeux funestes, d’où tant de maux sont venus.

Pour la femme et pour le mari, sinon pour l’autre, il semble d’abord que cette atroce péripétie ait arrangé les choses. Malade longtemps, d’émotion et d’horreur, Francesca revient à la santé. C’est la veille de Pâques, et, dans la maison, sur la place, parens et amis célèbrent la fête de demain et la guérison de la jeune femme. Mais son corps seul est guéri, non son âme. Ses lèvres ne se rouvrent que pour répéter le nom et les refrains de Scemo. Du coup, toute la rage du mari s’est réveillée. Il s’élance, résolu cette fois au meurtre, sur le chemin de la montagne. Là-haut, dans une grotte, nourri par un brigand du maquis, l’aveugle a repris sa vie plus que jamais solitaire