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seulement à Weimar pour avoir eu un but quelconque de voyage, d’écrire de là ce qui est vrai, c’est que l’air et les poêles ne conviennent ni à ma santé, ni à celle de ma fille et de revenir à Strasbourg où je trouverais des maîtres pour Auguste, de l’envoyer de là dans une pension à Paris, vers le mois de février en allant, moi, à Metz qui est plus près, et d’écrire au Premier Consul, le temps de la descente passé, en me rendant secrètement à Paris. Tu sens bien, je l’espère, qu’il me serait doux, non de revoir les impitoyables Genevois, mais de te serrer contre mon cœur. Mais si je me repose à ma place, je n’ai plus de moyens d’en sortir, et il y a dans mon errante vie à présent quelque chose qui force à une décision. Le grand malheur de ton séjour à Genève pour moi, c’est qu’il finit tout intérêt sur mon exil ; il n’en est pas de même de tout autre endroit. Ici je parais infiniment moins chez moi qu’à Paris.

Je te prie d’avoir la bonté de réfléchir sur tout cela, car, plus que jamais, je me suis convaincue qu’il n’y avait que Paris pour moi ; je déteste l’Allemagne, l’Angleterre est impossible et l’on ne sait ce que vaut la France, que quand on voyage. Cette ville est tout à fait indifférente aux nouvelles : il en faut de terribles pour percer le triple rempart des habitudes, de la nourriture et de la pipe ; on y a toutes les gazettes, mais presque aucune lettre.

On n’est inquiet parmi les amis des Anglais que pour l’Irlande, et encore paraît-il sûr que les rebelles mêmes ne veulent pas des Français. Un grand libraire d’ici et de l’Allemagne, Eslinger, m’a dit que ton ouvrage, le dernier, avait été prodigieusement lu en Allemagne.

Adieu, cher ange, écris-moi.

La réponse de Lebrun était singulière en effet ; elle était ainsi conçue :

Paris, 22 brumaire an XII.

On a reçu, avec la lettre de Mme de Staël, la déclaration qu’elle a faite à la municipalité de Metz. L’une et l’autre ont été mises sous les yeux du chef du gouvernement. On la suivra toujours avec bien de l’intérêt dans tous les lieux qu’elle va parcourir. Elle trouvera partout des raisons de préférer la France. On croit que les enfans d’une Française ne doivent être élevés qu’en France, et on est fâché de voir ceux de Mme de Staël aller prendre dans un pays étranger des mœurs et des habitudes dont il faudra qu’ils se défassent, tandis qu’ils n’y trouveront point l’instruction que leur offrait leur patrie. On lui renouvelle l’hommage d’un ancien attachement.

Il était quelque peu superflu de dire à Mme de Staël, que la France était préférable à tout autre pays et quelque peu étrange de lui reprocher, au moins indirectement, de n’y point faire élever ses enfans, alors que la nécessité de pourvoir à leur éducation était précisément la raison qu’elle avait fait valoir pour