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vertus, fortifiée par la pratique de la dialectique, peut atteindre, — pour un temps fort court et très rarement en cette vie, — l’union avec l’Intelligence, avec l’Un ou le Bien, par laquelle elle obtient, de toutes choses vues en leur principe, une connaissance supérieure à la science purement humaine. En disciple chrétien de saint Augustin, Guillaume y joint la grâce ; avec les moines chrétiens et les çoufis persans, avec Algazelet certains plotiniens, il recommande les privations et les austérités. Il fait d’ailleurs une grande place aux plotiniens grecs et latins, à Hermès, au Pseudo-Denys, à Thémistius, à saint Augustin, à Macrobe, à Boèce et à Hugues de Saint-Victor ; aux Arabes, aux Juifs, à Ibn Gebirol qu’il prend, d’après son nom et son style, pour un Arabe, et qui lui apparaît comme un chrétien dont il admire l’élévation des pensées et la doctrine du Verbe engendré. Une théorie plotinienne de l’optimisme est chez lui complétée par un traité de l’immortalité de l’âme où il utilise un travail analogue de Gundissalinus, le célèbre traducteur : l’un et l’autre ne craignent pas d’affirmer qu’ils n’ont rien pris qu’à Aristote et à ses partisans, qu’ils ont omis les principes et les preuves de Platon, applicables à toute âme et non à l’âme humaine, alors que ces partisans d’Aristote sont des plotiniens grecs, arabes et juifs ! D’ailleurs Guillaume parle assez sévèrement de l’autorité et d’Aristote dont il possède la plupart des œuvres, authentiques ou apocryphes. Aristote, dit-il, s’est trompé en beaucoup de points, il a déliré de la façon la plus insensée sur les intelligences séparées. Aussi Guillaume refuse-t-il de se servir de ses paroles pour prouver ce qu’il veut dire ; l’argument dialectique tiré de l’autorité ne saurait engendrer que la foi, non la certitude démonstrative qui exclut toute espèce de doute. Et c’est pour les intelligences bornées que l’autorité joue un grand rôle, car elles se laissent entraîner dans l’erreur par le prestige d’un nom célèbre : l’autorité accordée à certains philosophes ne fait pas seulement admettre leurs témoignages, elle les met au rang des Dieux et les rend infaillibles.

Ce qui a peut-être le plus frappé Roger Bacon chez Guillaume d’Auvergne, c’est ce dédain pour l’autorité non justifiée, c’est la sévérité avec laquelle Aristote est jugé, mais aussi interprété par les plotiniens, chrétiens ou non chrétiens, c’est la place donnée aux œuvres arabes et juives.

La façon dont Roger Bacon s’exprime sur les autres maîtres