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conquête d’un mandat destiné, dans leur pensée, à les faire vivre plus largement. On s’est trouvé impuissant à leur opposer des candidats raisonnables et désintéressés : le suffrage universel n’a pu choisir qu’entre des « politiciens d’aventure » et pour des raisons fort étrangères a la politique générale.

En Angleterre et en Belgique, ce sont les associations politiques de chaque parti qui préparent les campagnes électorales avec ordre et méthode. Rien de tel en France. Ce n’est plus, chez nous, l’association qui choisit le candidat, c’est le candidat qui choisit l’association à laquelle il désire se rattacher et, très souvent, il aime mieux ne se rattacher à aucune, afin de pouvoir évoluer à son aise dans son collège électoral, capter des suffrages dans tous les groupes et préparer les coalitions qui assureront son triomphe. S’il rédige une profession de foi et s’il fait des déclarations publiques, il sait, par expérience, que cette méthode de propagande est insuffisante pour lui assurer la majorité. Aussi s’efforce-t-il de conquérir cette majorité par d’autres moyens ; il fait des visites nombreuses aux électeurs, distribue des poignées de main, multiplie les promesses ; s’il est candidat officiel, il oblige les fonctionnaires de tous ordres à devenir ses agens électoraux ; il proclame cyniquement qu’il est seul capable, par son influence sur les ministres et sur les préfets, de faire régler les affaires communales et départementales dans l’intérêt de ses électeurs et de faire accorder à ses partisans toutes les faveurs dont le gouvernement peut encore disposer, sous un régime qui se dit démocratique.

De tous les moyens de persuasion, ce dernier est malheureusement le plus efficace. Dans un pays qui compte plus d’un million de fonctionnaires et où chaque citoyen a si souvent besoin de recourir à leurs office s ; où les municipalités sont restées sous la tutelle étroite du préfet ; où l’administration est devenue le plus arbitraire des pouvoirs personnels ; où le suffrage universel a été domestiqué, circonvenu et corrompu de longue main, comment s’étonner des abus du parti au pouvoir ? Nos mœurs électorales s’altèrent de plus en plus ; l’intérêt général est de plus en plus sacrifié aux intérêts particuliers. C’est en vain que le pays s’est prononcé, il y a quatre ans, pour un régime électoral de justice et de vérité, pour l’assainissement des « mares stagnantes : » le scrutin d’arrondissement a continué son œuvre ; le fléau de la corruption n’a fait que s’aggraver.