Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 21.djvu/590

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

invitations ne cessent pas ; c’est donc tout ce qu’il faut pour 45 jours qui me restent encore ; je n’en resterai pas un de plus, pour beaucoup-de choses.

Je vais le 15 de mai à Potsdam voir les revues, et vraisemblablement, la Reine et la bibliothèque et la chambre de Frédéric ; ainsi, le 15 de mai, je serai déjà presque partie d’ici.

Je fais apprendre avec ardeur la cosaque à Auguste et à Albertine, pour amuser petit gros vous. Auguste est en pension et de plus au collège ; ce voyage lui aura été vraiment utile et deux mois de Schlegel à Coppet, avant d’aller à Paris, l’achèveront pour l’allemand et le grec. Quel maître que ce Schlegel, s’il voulait se vouer à cela ! Mais je crains bien qu’il ne reste pas. Enfin Auguste aura reçu une éducation bien distinguée, et tout cela dérive de toi, uniquement de toi. Je ménage bien ton petit argent néanmoins, mon ange ; ton premier crédit ne sera point passé. Adieu, adieu.

Voilà deux incluses, Galatin et une page sur l’arrivée de Duroc.


À 3 heures.

Comme je fermais ma lettre, on m’apprend que le général Duroc est arrivé à Potsdam ; cela met le pays en grande rumeur ; la conjecture la plus probable est qu’il vient ici pour annoncer que la France veut occuper le Holstein ou du moins le port de Lubeck et qu’il apporte toutes les offres d’agrandissement possible pour déterminer la Prusse à ne pas j’allier à la Russie dans cette circonstance. Ce qu’il y a de certain, c’est que M. d’Haugwitz, qui devait partir, reste. On en dira peut-être davantage d’ici à samedi. Mon mouvement serait d’être bien aise d’avoir fini mon voyage, on n’aime pas l’agitation qui nous est étrangère, cela remue péniblement, Je dînerai peut-être avec Duroc vendredi chez Laforest. Samedi, je t’écrirai. Adieu, cher ange.

Je t’envoie deux billets, l’un que j’avais oublié la dernière fois et l’autre en réponse à l’a flaire de ma fille.

Retire un paquet pour la vieille dame Geffroy à Coppet.


Sans date.

Je n’ai écrit que des absurdités le dernier courrier, mon ange, et cela va me perdre dans ton esprit comme nouvelliste, mais imagine que Mme de Voss, la grande maîtresse de la Cour, une femme qui a soixante-quinze ans, qui est grande maîtresse, née pour la prudence et l’étiquette, avait dit l’arrivée de Duroc, comment en douter ? Et il n’en est rien ; il n’est pas venu, il ne viendra point, et tout est plus paisible que jamais dans le monde politique. Mais il y a une telle ardeur de guerre dans quelques têtes, qu’elles en répandent sans cesse le bruit.

J’ai été très contente de M. de Hardenberg et je vois très bien que c’était l’embarras de sa surdité qui le détournait de venir me voir. C’est décidément un homme très agréable. M. de Tilly[1] s’est mis à reparaître

  1. Le comte de Tilly était un émigré qui menait à Berlin une vie assez scandaleuse. Il faisait des dettes et courait les aventures galantes. Une femme qu’il avait compromise s’était tout récemment jetée dans, la Sprée. Il avait publié en 1803 à Berlin, sous le titre d’Œuvres mêlées, un volume qui contenait à propos de Delphine un morceau excessivement désobligeant et presque injurieux pour Mme de Staël, Rentré en France en 1812, il s’expatria de nouveau en 1816 et se tua à Bruxelles d’un coup de pistolet.