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La nouvelle de l’arrestation de Pichegru a donné plus de corps à la conspiration de Moreau qu’elle n’en avait. Mande-moi, je te prie, tout ce que l’on sait à Genève. Veux-tu bien remettre ce petit mot à M. Percy dont j’ai trouvé deux lettres ici. J’y ai rencontré un Anglais, M. Drummond, qui vient de Constantinople où il était envoyé et qui retourne à Londres, la semaine prochaine, dont la société est bien agréable. Il est marié et part dans huit jours, ceci soit dit à cause de tes plaisanteries, car, à présent, tante Marie est fixée[1]. J’ai aperçu un gros M. de Golofkin, celui dont tu m’as écrit, qui a, je crois, de l’esprit, jovial et mauvais sujet ; j’ai vu quelques hommes de lettres, mais, sous ce rapport, Weimar est beaucoup plus fort. Les revues sont le 24 mai, et le 26 je me mets en route pour revenir ; cher ami peut compter sur cela.

J’ai trouvé un logement et une voiture pour 25 livres par mois tous les deux, ce qui est de beaucoup moins cher qu’à Paris. Je place mon fils au collège allemand et je renvoie Bosse qui est une bête dépensière et voilà tout. Il y aura, j’ai peur, demain, un duel entre un Français de la légation et un officier de la garde du Roi ; les officiers prussiens n’aiment pas la familiarité des Français ; il n’est pas vrai du tout que l’esprit public ici soit français, mais on y est généralement content d’une paix sans servitude ; je ne crois pas que la France obtienne l’alliance offensive et défensive qu’elle propose. Ces derniers tumultes diminuent toujours l’idée de stabilité. On croit ici le roi d’Angleterre mieux ; l’opinion des Anglais est que sa mort ne changerait rien à la marche des affaires. Le Premier Consul demandait toujours, même pendant la paix, aux envoyés d’Angleterre des nouvelles du prince de Galles et jamais du Roi. Adieu, cher ange, à demain.


Ce 13.

J’ai veillé jusqu’à trois heures du matin et je m’éveille cinq minutes avant le courrier ; le récit de la mascarade à samedi. Adieu, cher ami, que de tristesse au fond des plaisirs !


Berlin, le 15 mars.

Je possède deux lettres de toi et une du 28 février, cher ami ; c’est le plus tôt que je puisse l’espérer à cette énorme distance.

Je te disais donc dans ma dernière lettre que je te parlerai de la mascarade ; c’était en effet la fête la plus à remarquer que j’aie jamais vue. Il y avait deux mille personnes dans la salle du spectacle et la Reine avec 80 personnes de sa Cour ; princes et princesses ont dansé un quadrille qui représentait l’arrivée d’Alexandre à Babylone, et son mariage avec Statira veuve de Darius. Le prince Henri, frère du Roi, était Alexandre, la princesse d’Orange était la sœur de Statira.

Jamais de si belles et si élégantes toilettes, des diamans si magnifiques et en si grande abondance n’ont frappé mes yeux. Je regrette un peu ici de n’avoir pas pris des diamans, car cela est fort économique et fort brillant tout à la fois. D’autres quadrilles ont succédé à celui de la Reine,

  1. Cette réponse aux plaisanteries de M. Necker est difficile à comprendre.