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dont l’un devait être victime de la Révolution et dont l’autre devait conduire la Prusse à Iéna. Frédéric-Guillaume III était, comme Louis XVI, un prince honnête, pieux, bien intentionné, de mœurs sévères, mais hésitant, sans caractère, sans volonté et qui ne devait pas, dans l’infortune, faire montre de la grandeur que déploya Louis XVI en présence de l’échafaud. Ce qui complète la ressemblance, c’est que Frédéric-Guillaume III était, comme Louis XVI, le mari d’une princesse brillante et charmante, cette séduisante reine Louise, dont la mémoire est demeurée si populaire en Prusse, et dont une véritable légende entoure la figure. Mais cette légende est née du courage déployé par elle pendant les malheurs de la Prusse. À l’époque qui nous occupe, la reine Louise était encore une princesse plutôt frivole, peut-être même un peu coquette, très éprise de plaisirs et donnant à la cour de Potsdam le ton que l’infortunée Marie-Antoinette avait donné à celle de Versailles. Les plaisirs, les bals, les mascarades, — on appelait alors ainsi les bals costumés, — y tenaient une grande place et nous allons trouver la description de ces fêtes dans les lettres de Mme de Staël. Ainsi, à la veille de la pire catastrophe, la monarchie prussienne s’étourdissait comme avait fait la monarchie française, dans les divertissemens de toute sorte, et la société aristocratique de Berlin, prenant exemple sur la Cour, n’était pas moins frivole que ne l’avait été celle de Paris.

Une question ; comme on l’a pu voir, avait préoccupé Mme de Staël avant son arrivée à Berlin, celle de sa présentation à la Cour. Persistant à ne pas admettre qu’elle fût Suédoise, elle ne voulait pas être présentée par l’ambassadeur de Suède. Elle aurait souhaité de l’être par le ministre de France Laforest. Mais, bien que Joseph Bonaparte eût adressé à celui-ci une lettre pour lui recommander Mme de Staël, cependant elle craignait, non sans quelque raison, un refus, si elle s’adressait à lui. Mme de Staël était notoirement en disgrâce à Paris ; le Premier Consul aurait pu savoir mauvais gré au représentant de la France de présenter officiellement une femme qui avait encouru sa défaveur et dont la qualité de Française était contestée. Pour sortir de la difficulté, Mme de Staël avait eu la pensée de demander à être présentée par la grande maîtresse de la Reine, la comtesse de Voss. De Weimar, elle consultait par lettre sur ce point un chambellan du Roi, M. de Sartoris, qu’elle avait sans doute