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l’une et l’autre société couraient avec insouciance aux plus terribles épreuves, sans se douter du destin qui les attendait. On ut même faire remonter le parallèle jusqu’au lendemain de la mort de Louis XIV et de Frédéric II.

De même qu’au lendemain de la mort de Louis XIV, il y avait eu réaction contre la tristesse et l’austérité des dernières années du règne et que la Cour et la société s’étaient jetées dans les plaisirs, de même, au lendemain de la mort de Frédéric II, il y avait eu réaction contre le régime morose que Frédéric II, vieilli et avare, avait imposé à la cour de Prusse. Ce serait cependant faire honneur au successeur de Frédéric II que de le comparer à Louis XV. Frédéric-Guillaume II n’était qu’un débauché grossier et sans élégance. Ce qui le distingue en outre de Louis XV, c’est que des amours vulgaires ne l’empêchaient pas d’avoir la monomanie du mariage. Divorcé d’avec une fille du duc de Brunswick, il avait épousé en secondes noces une princesse de Hesse-Darmstadt. Mais il avait, du vivant de celle-ci et avec sa permission, moyennant que ses dettes fussent payées, — à en croire du moins Mirabeau, — obtenu, d’un consistoire complaisant, la permission d’épouser morganatiquement une demoiselle de Voss qui était attachée à la personne de la princesse Frédérique de Prusse, fille de sa première femme. Puis, celle-ci était morte, au bout d’assez peu de temps, non sans quelque soupçon de poison. Frédéric-Guillaume II s’était empressé d’épouser une comtesse Dœrnhoff, dame d’honneur de sa femme, de sorte qu’il avait à la fois trois épouses, l’une divorcée, l’autre légitime et la troisième morganatique. Mais ces mariages successifs ne l’empêchaient pas de conserver une maîtresse, à laquelle on faisait quelque honneur en l’appelant la Pompadour, car elle était d’assez basse extraction et fille d’un trompette. Ce fut néanmoins à cette maîtresse, créée par lui comtesse de Lichtenau, qu’il confia l’éducation des enfans qu’il avait eus de la comtesse Dœrnhoff, tombée en disgrâce.

Ce singulier successeur de Frédéric était mort en 1797, — « Mon temps d’épreuves va commencer et le paisible bonheur dont nous avons joui va finir, » s’était écrié le prince royal au moment de la mort de son père. C’était à peu de chose près ce qu’avait dit Louis XVI en apprenant la mort de Louis XV : « Nous régnons trop jeunes. » Il est impossible de ne pas être frappé de la ressemblance entre les deux souverains