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La mort du roi d’Angleterre, qu’on annonce comme prochaine, amènera la paix et peut-être très vite, à moins que le roi nouveau ne confie le ministère principal à M. Pitt. Il faut croire plus que jamais à l’étoile de Bonaparte.

Encore une fois les plus tendres caresses à ma chère Minette. Je suis bien malheureux de n’avoir pas reçu sa lettre. Que serait-ce si elle était perdue ! Adieu, adieu.


6 mars.

Chère, chérissime amie, quelle est ma joie ! Ta lettre égarée m’arrive par un excellent homme qui l’a trouvée sur le chemin. Oh ! quelle perte si cette adorable lettre ne m’était parvenue et que de pleurs j’ai versés en voyant la peine déchirante que tu as soufferte[1]. Fais de moi tout ce que tu voudras. Je n’ai qu’une chose à soigner le reste de ma vie. J’obéirai à tous tes commandemens. Je suis, je t’assure, aussi bien que j’étais, à ton départ. Ma maladie n’était qu’une fièvre érysipéleuse qui s’était dérangée de son cours naturel, mais, au bout de trois heures, l’érysipèle s’est déclaré, et j’ai été soulagé. Je t’écris en hâte et j’espère que cette lettre arrivera en même temps que celle que j’ai fait partir ce matin. Adieu, chère amie de mon tendre et sensible cœur.


9 mars.

On ne sait point encore quand la grande procédure de Paris commencera. On ne doute presque plus depuis l’arrestation de Pichegru que Moreau ne soit compromis ; cependant il y a un intérêt presque général pour lui. Pichegru semble un aventurier dans sa conduite. On dit que Moreau se borne à des dénégations et, quand on le presse par des indices contraires à ses allégations, il dit qu’il ne s’en souvenait pas. On assure que depuis longtemps la réputation de sa capacité pour tout autre chose que la guerre ne subsistait pas. Il y a de nombreuses arrestations. Il paraît qu’on aurait donné des avis à beaucoup de gens venus à Paris ou sur la route de Boulogne. Quelle entreprise que cet enlèvement du Consul ! Elle était bien hardie et bien peu susceptible de succès.

Ce fut à Leipsick où elle s’était arrêtée en route pour Berlin, que Mme de Staël apprit l’arrestation de Moreau. La nouvelle de cette arrestation dut singulièrement l’émouvoir. Bien que ses relations avec Moreau n’eussent jamais pris le caractère d’intimité de celles qu’elle avait entretenues avec Bernadotte, au moment où celui-ci prêtait à demi son nom à une conspiration contre le Premier Consul, cependant elle avait toujours professé une grande admiration pour le vainqueur de Hohenlinden. Dans les Dix années d’exil qui ont été publiées après la mort de

  1. Deux courriers successifs n’avaient point apporté à Mme de Staël de nouvelles de son père. En proie à l’inquiétude, elle lui avait adressé une lettre éperdue. Voyez la Revue du 15 mai, p. 353 et 354.