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de Juliane, mais cela ne nous étonne pas : un si bon frère ne peut manquer d’avoir, en quelque façon, des sentimens de belle-mère. Ce qui est plus inquiétant, c’est que Gaétan Béreuil, partant pour un voyage d’affaires, ne laisse qu’une adresse vague. Quand les maris, subitement forcés de s’absenter pour affaires, ne laissent qu’une adresse vague, c’est mauvais signe. Survient un ancien adorateur de Juliane, Messénis, qui, avant le mariage, a soupiré pour elle, et, depuis, a continué. Il est assez habituel qu’on voie les Messénis reparaître à l’heure où s’absentent les maris. Mais celui-ci a tout l’air de l’amoureux transi dont il n’y a rien à craindre. Et Juliane est une parfaitement honnête femme. De tous ces indices réunis nous tirons cette conclusion que Gaétan Béreuil doit être un mari abominable.

Ici se place une scène qui peut passer pour épisodique, si l’on ne fait attention qu’à la suite elle-même des événemens et qu’au drame qui va, nous n’en doutons guère, ravager le ménage Béreuil, mais qui est commandée par les intentions philosophiques de l’œuvre. Séverin s’aperçoit qu’on lui a volé un billet de cent francs. Le coupable ne peut être que le fidèle Baptiste, le plus vieux serviteur de la maison, l’homme de confiance, un ancien soldat qui jadis a combattu sous les ordres de Séverin, — vous ai-je dit que Séverin est officier ? — et s’est fait plusieurs fois tuer pour lui. Que va faire Séverin ? De toute évidence, il appellera ce malheureux, le confessera seul à seul, obtiendra de lui, en même temps que l’aveu de sa faute, une explication ou une excuse, en tout cas, lui épargnera l’humiliation d’être tenu dans la maison pour un voleur. On ne doit pas moins à un vieux brave. Tout au contraire, Séverin constitue un tribunal, composé de Juliane et de Messénis. (Qu’est-ce que celui-ci vient faire en cette affaire, et parce qu’on aime une femme, quels droits cela vous donne-t-il sur ses domestiques ? ) Baptiste comparaît : c’est bien lui qui a volé les cent francs : sa fille, mariée et mal mariée, ne pouvait payer son terme, allait être jetée sur le pavé : il a trouvé par hasard sous une potiche un billet de banque, un chiffon, une loque de billet, sali, usé, rapiécé, qui, sous cette potiche, avait un air de s’ennuyer : il l’a rendu à la circulation. Je ne sais quel aurait été l’arrêt d’un tribunal ordinaire ; mais ce tribunal extraordinaire, improvisé et familial, est sans pitié. Il n’accorde pas même les circonstances atténuantes. Baptiste est renvoyé ; il restera jusqu’au retour de monsieur, qui lui réglera son compte. Puis il ira se faire pendre ailleurs… Nous sommes chez les pharisiens.

Mais revenons au ménage Béreuil. Une conversation entre