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République. Ils ne sont pas en passe de faire des choses si grandes qu’on puisse raisonnablement espérer que nos petits-neveux éprouvent à leur égard une pressante curiosité. Il est entendu que nous sommes à une époque d’individualisme, mais jamais il n’y eut moins d’ « individualités. » Pourtant, il se peut qu’on regarde, un jour, leurs portraits, pour voir quelles figures avaient des gens qui vivaient à l’aise dans les liens d’une législation et d’une constitution surannées et dont le cerveau contenait encore tant de superstitions économiques et sociales… Voici, avenue d’Antin, les portraits de M. Albert Métin, ministre du Travail, par M. Le Riche, de M. Jean Dupuy, ancien ministre, par M. Laszlo, et de M. Charles Seignobos, par M. Kœnig, qui y aideront. Et, aux Champs-Élysées, les portraits de M. Mascuraad, par M. Louis Roger, de M. Maurice Sarraut, par M. Carrera, de MM. Pujalet et Charles Legrand, par M. Etcheverry, corroboreront leur témoignage.

Le portrait de M. Albert Métin (salle XIX) est excellent de naturel et d’aisance. Le peintre a donné à son modèle un air de satisfaction peu commune. On sent, à le voir, que tout va pour le mieux dans le monde du travail et de la prévoyance sociale : apparemment, dans le temps où fut peint ce portrait, l’ouvrier ne voyait rien au-dessus de son sort, la vie était facile et à bon marché, l’alcoolisme, un souvenir comme la Peste, l’Assistance obligatoire une source de bénédictions, les retraites ouvrières accueillies avec des larmes de reconnaissance : les lois sociales de la République avaient mis fin à tous les maux. Non loin de là (salle IX), le Portrait de M. Maurice Barrès rêvant, un livre à la main, devant Tolède, donnera une haute idée des loisirs de nos députés. Mais ce tableau que M. Zuloaga intitule Portrait de M. Barrès, n’a rien de M. Barrès et pas grand’chose d’un portrait. C’est un beau paysage, une Tolède ravinée, calcinée, âpre, tragique, comme il convient quand on est la patrie du Greco, mais embarrassée par un premier plan noir, qui est tout à fait conventionnel, et une longue figure d’homme, qui est tout à fait mauvaise. M. Zuloaga prouve, une fois de plus, qu’un excellent peintre, puissant coloriste et original metteur en scène, peut manquer des qualités requises pour faire un bon portrait.

Ce sont ces qualités, ou du moins quelques-unes d’elles, qui ont mis M. Bonnat, depuis si longtemps, à part des autres