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Pauvreté et de l’Humilité ont du charme pour les âmes contemporaines. Mais on va les voir dans le même esprit qu’on irait voir un aviateur boucler la boucle ou l’extase d’un fakir : une curiosité pour un exercice d’acrobatie morale et sans aucune intention de l’imiter. On a retrouvé la place où Bernard de Quintavalle et Pierre dei Cattani se sont dépouillés de tout et ont laissé leurs richesses en un petit tas. Mais on ne voit pas que les visiteurs y aient laissé leurs automobiles. Et les « heureux de ce monde » qui viennent cueillir les roses sans épines de Sainte-Marie-des-Anges, ou interroger Giotto dans l’église haute d’Assise, ressemblent fort à ceux de Rome que Frère Junipère, voici déjà sept siècles, laissa se morfondre à l’attendre, tandis qu’il était à califourchon sur une balançoire, au lieu de les bénir…


II

Qui sont ici, les « heureux de ce monde ? » Assurément les personnages de La Touche, occupés à quelque fête dans les parcs, sur l’eau, à table, au concert, ou a de beaux voyages, — et, en effet, ils sont tristes. Ce sont des gens de Verlaine :


Ils n’ont pas l’air de croire à leur bonheur,


et le charmant artiste, qui les créa, n’y croyait pas non plus. C’était un frère de Watteau, mélancolique dispensateur de joies élégantes et conteur désabusé de galantes aventures. On a bien fait de rassembler, avenue d’Antin, une dernière fois, en deux salles pleines, les salles I et XXIII, une cinquantaine de ses œuvres. La mort prématurée du Maître y met sa vraie signature. On les regardera avec d’autres yeux désormais et on les verra mieux. Ce qui fait le prix de toutes ces rencontres : rencontres d’âmes, d’yeux, d’ailes, d’eaux, de chants et de feuilles, de rayons et de reflets et d’ombres, c’est qu’elles sont éphémères. Le carrosse rouge s’en va cahin-caha, sous la pluie de feuilles mortes et disparaît ; le gué se passe et les nymphes restent seules ; l’eau qui drape les vasques s’effiloche et se perd ; la fusée retombe dans l’eau noire ; la coupe de Champagne s’abaisse vide, et l’Amour, que les mains des péronnelles se lassent de cribler de roses, ne trouvera plus, de longtemps, un pinceau qui le raille avec tant d’esprit. La mise en cadre de ces fantaisistes