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années. Elle a eu la bonté de se souvenir de moi et m’a dit avec une expression de profonde tristesse :

— Bien des choses se sont passées depuis que nous ne nous sommes vus, monsieur le comte.

— En effet, dis-je, la dernière fois que j’ai eu le bonheur de mettre mes hommages aux pieds de Votre Majesté, le Roi s’occupait de réunir la Junte pour assurer la succession de la reine Isabelle, Votre Majesté était désignée comme régente du royaume, et rien ne semblait plus brillant, plus glorieux que l’avenir de Votre Majesté si aimée, si appréciée par les grands et par le peuple espagnol.

— Eh bien ! tout cela a tourné contre moi, et me voilà aujourd’hui détrônée, exilée et, qui plus est, séparée de ma famille. J’espère, au moins, que mes sacrifices ne seront pas entièrement perdus et que les bons temps reviendront pour mes enfans et pour cette chère Espagne. Quant à moi, personnellement, j’ai renoncé au bonheur, ma carrière est finie à tout jamais.

Après cela, comme pour chasser son émotion, elle me parla de choses indifférentes.

Quelques jours après, j’ai de nouveau rencontré la Reine au château des Tuileries. J’ai remarqué qu’elle était mise avec une grande simplicité, coiffée d’un petit bonnet très modeste, et sans diamans. La duchesse de Berwick remplit auprès d’elle, pendant son séjour à Paris, les fonctions de dame d’honneur. J’ai trouvé la Reine très amaigrie, son visage en a un peu souffert, elle est cependant encore très jolie. Sa figure trahit l’esprit et la bienveillance. Elle est généralement admirée, et par M. Guizot lui-même, autrefois si prévenu contre elle et qui ne cache pas combien il est surpris de son instruction, de la justesse de ses jugemens sur les hommes et sur les choses.

La reine des Français m’a aussi beaucoup parlé, et avec le plus grand éloge, de la reine d’Espagne. Ce que Sa Majesté admire le plus dans sa royale nièce, c’est que ses discours sont exempts d’aigreur, qu’elle n’accuse, qu’elle ne blâme jamais personne, pas même ceux qui, ainsi qu’Espartero, mériteraient tout son mépris.


28 novembre. — On travaille à force aux préparatifs de la translation des cendres de Napoléon. Une grande activité règne surtout devant mes croisées qui donnent sur l’esplanade de