Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 21.djvu/418

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lundi dernier, lorsque M. Guizot parut pour la première fois à la Cour, depuis son ambassade à Londres. J’ai cru m’apercevoir que la Reine et Madame Adélaïde l’ont assez froidement reçu, cela tient peut-être à une ancienne rancune que lui portent Sa Majesté et Son Altesse Royale et qui date du temps de la coalition, où M. Guizot a été détestable pour le Roi. On pourrait cependant encore attribuer cette froideur aux manières un peu dédaigneuses de M. Guizot ; la Reine trouve déplaisant que cet ancien professeur ait l’air de mépriser les grandeurs de ce monde.

Nous étions, ce jour-là, au Château pour la présentation du prince et de la princesse Schvarzenberg et pour renouveler celle du comte et de la comtesse Louis Karolyi. Ces dames ont été étonnées de la manière cavalière dont Guizot parlait à la Reine de l’attentat commis contre le Roi ; il en parlait comme d’un événement qui serait étranger à la Reine et à Madame Adélaïde ; il savait pourtant qu’elles étaient dans la voiture du Roi et qu’elles avaient même couru plus de danger que lui.

Je comprends que les personnes qui n’ont jamais vu M. Guizot soient un peu étonnées de ses manières ; quant à moi, qui ai le plaisir de le connaître depuis longtemps, j’ai, tout au contraire, trouvé qu’il avait beaucoup gagné à son avantage. Sa conversation aussi est plus animée, moins sentencieuse qu’auparavant. Ce n’est pas encore ce qu’on appelle un homme aimable, mais il est au moins plus supportable qu’autrefois. En voyant entrer Guizot, j’ai dit au général Dumas, l’un des aides de camp du Roi : « Voici le Messie du moment. »

Il m’a répondu : « Ce sera certainement un grand appui pour le ministère, mais croyez bien que le maréchal Soult est décidé à marcher droit vers son but, sans Guizot, avec Guizot, contre Guizot, contre Thiers, contre Broglie, contre tout le monde s’il le faut ; il marchera d’accord avec le Roi, appuyé sur la force du pouvoir royal et de l’influence que son nom exerce sur l’armée, laquelle est à nous. Quant aux émeutes et à l’opposition à main armée, nous ne les craignons pas. Le gouvernement a toujours été fort au moment du danger, tout le monde se rangeait autour de lui. Il en serait de même si le danger renaissait et le maréchal ne compte céder sur rien. »

Le Roi, lorsqu’il parle de Thiers, en fait le plus grand éloge ; « C’est lui, observe-t-il, qui m’a toujours défendu contre les autres ministres. » Cependant, il est enchanté de s’en voir