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« C’est, répond l’hôte, quand la lune est grande, l’air paisible, le firmament pur. » L’amoureux s’empresse de remarquer que cette nuit dernière, où le lièvre s’est laissé prendre, le firmament était limpide, l’air tranquille, la lune plus grande qu’il ne l’avait jamais vue. Et ces honnêtes gens de rire, et le jeune homme de rougir. Supposez seulement que le père de la jeune fille ait beaucoup de bien, et qu’au lieu de dire, « en baisant le front » de son enfant : « je veux qu’elle ait un mari pauvre, un chasseur comme moi, » il repousse le prétendant sous prétexte de pauvreté, vous arrivez au sujet même de Mirèio.

Que ne doit pas Mistral à la nouvelle de Longus, Daphnis et Chloé, à cette pastorale passionnée devenue, grâce au pur et naïf français de l’évêque Amyot, un des ouvrages de prix de notre vieille langue ! C’est peut-être encore au collège, comme plus d’un autre, que le poète en herbe s’est délecté furtivement de cette histoire d’amour. S’il en était ainsi, la version suggestive, dont on doit croire qu’il s’est servi, lui aurait donné sa première leçon de simplicité méditée, d’ingéniosité acquise et de naturel, retrouvé par un raffinement de l’art.

Conscientes ou non, les réminiscences du roman de Daphnis et Chloé ne sont pas rares dans le poème de Mistral. En voici’ des exemples. On se rappelle, au début du chant Ier, le symbole de la figue, oubliée dans l’arbre par le cueilleur « affamé comme un loup, » aloubati. C’est « Dieu qui a voulu » qu’elle restât sur une des ramilles les plus élevées, pour que l’homme ne pût y porter la main, et que ce fruit, « mûr à la Madeleine, » ne servit qu’à ôter la faim à quelque « oiseau du ciel. » Cette image charmante apparaît déjà dans l’ancienne poésie grecque, mais c’est au livre III de la nouvelle de Longus que l’auteur de Mirèio la découvrit : « En allant ainsi çà et là, ils trouvèrent un pommier, dont les pommes avoient jà esté toutes cueillies, et n’y estoit demouré qu’une seule pomme à la cime de la plus haute branche. Cette pomme estoit belle et grosse à merveilles, et sentoit meilleur que toutes les autres, mais celui qui les avoit cueillies n’avoit osé monter si hault, et ne s’estoit point soucié de l’abattre, et à l’adventure aussi que les dieux le vouloient ainsi, qu’une si belle pomme fût réservée pour un pasteur amoureux. » On voit ce que Mistral a conservé, et comment l’instinct du poète, en ne changeant qu’un seul détail : « l’oiseau