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derrière l’appareil d’érudition ou les obscurités des rêves. Loin de soulever l’ouvrage sur des ailes, le symbole l’appesantit.

Lamartine, prophète encore, avait écrit : « O jeune homme de Maillane, tu seras l’Arioste et le Tasse quand tu voudras, comme tu as été homérique et virgilien quand tu l’as voulu, sans y penser. » Mais ce n’est pas sans y penser, qu’après s’être montré virgilien beaucoup plus qu’homérique, Mistral avait voulu renouveler dans Calendau les prouesses d’invention et les prestiges de couleur des poètes italiens. Il s’était appliqué, ou, ce qui n’est pas moins scabreux, évertué à poursuivre la fantaisie. Au lieu de se replier, une fois de plus, sur lui-même et de tirer, comme précédemment, de son trésor intérieur d’intuitions, de souvenirs, d’émotions profondes, l’âme de ses héros, il se l’était imaginée. Son Estérelle n’est guère qu’une abstraction. Calendal lui-même, avec tous ses efforts pour atteindre jusqu’aux régions de l’espace infini, peut faire, au lecteur désireux d’être ému par cette deuxième œuvre de Mistral, l’effet de s’approcher du vide, ou de ne s’élever très haut, comme disait le poète latin, que pour tomber avec plus de lourdeur.

Si je parle avec liberté de ce qui apparaît d’ « audace belle, » mais un peu déçue, d’intentions fastueuses, mais assez vaines, dans ce dessein poétique, parfois faussé, c’est que j’admire, aussi pleinement qu’il se peut, les meilleurs endroits de l’ouvrage, et, avant tout, les deux chants III et V, qui s’en détacheraient fort bien, sous ce titre : La Mer, saisi par Jean Richepin. Ah ! si de 1859 à 1866, c’est-à-dire pendant tout le temps qu’il lui fallut pour broder et pour assembler les douze chants de Calendau, Mistral eût mis sa volonté à limiter son sujet, à l’approfondir, si, pour avoir absolument le droit de célébrer les escales de la Provence, après avoir glorifié ses labours et son marécage, il eût, non point passé peut-être une saison chez les Gassidiens, mais vécu de leur vie pendant ces sept années, comme Jacob, serviteur chez Laban, de la vie des bergers, l’idylle des pêcheurs, qu’il a ébauchée, et qu’il aurait menée alors au point de perfection, eût égalé, je ne dirai pas surpassé, l’églogue pastorale de Mirèio.

La presse littéraire ne fut pas hostile à Calendau. Elle était, en partie, à cette époque, aux mains de Provençaux, dévoués à Mistral et à « l’Idéio » : Émile Zola, Alphonse Daudet, Paul Arène, Armand de Pontmartin, bon nombre d’autres. Mais le